Le flanc de la normale…

Avec la nouvelle année sont venus toutes sortes de vœux, y compris des vœux pour un retour à la normale. Je dois avouer que je suis très sceptique à ce sujet, principalement parce que cela assume un monde statique dans lequel les évènements des trois dernières années étaient juste des aberrations exceptionnelles sans causes structurelles et sans conséquences. Bref, les gens espèrent qu’on pourrait revenir en 2019, que le flot du temps pourrait revenir en arrière.

Le fait qu’une épidémie globale était possible et probable était connu depuis un bon moment, je me souviens avoir lu des articles à ce sujet dans les années 2000. En 2015, Bill Gates a fait une présentation à ce sujet sur un Ted Talk, avec comme principal résultat qu’il est tenu responsable dans plusieurs théories de conspiration. Même si la situation s’est calmée en Europe, la situation en Chine est loin d’être stable, sans parler des flambées du virus RSV qui ont suivi.

Un conflit direct ou indirect avec la Russie a été la raison d’être principale de l’armée suisse depuis la seconde guerre mondiale, donc pas exactement un évènement hors de l’horizon politique. La guerre en Ukraine était tout aussi possible et probable, après tout ce n’était que la continuation de l’annexion de la Crimée en 2014. Cette fois-ci le conflit n’a pas duré quelques semaines, il s’est enlisé et a escaladé, on arrivera bientôt a une année, sans qu’une issue soit en vue. C’est quelque chose qui arrive avec les guerres.

Le réchauffement climatique est à l’agenda depuis des décennies, avec l’habituel déni d’une partie de la population et l’attentisme général. Il y a toujours eu des météo extrêmes, simplement à présent elles arrivent chaque année, avec leur lot de destruction. Les politiciens peuvent prétendre que ces choses arrivent qu’il faut reconstruire, pour les assurances et les finances en général, il y a une grosse différence entre un évènement qui survient tous les siècles, et un qui survient chaque décennie, ou plus souvent. De même, investir dans des infrastructures qui ont bonne chance de devenir largement obsolètes à moyen terme, comme les aéroports ou les autoroutes, est juste du gaspillage d’argent, généralement par les partis qui prétendent être économes.

Les gens ont généralement une très mauvaise compréhension des probabilités. C’est bien beau de déclarer que rien n’est jamais sûr à 100%, et donc que 99% est acceptable. Le truc, c’est pour un évènement isolé, par exemple un examen, 99% de chance c’est très bon (voir suspect). Par contre, 99% de chances d’avoir un trajet sans accident pour un automobiliste, c’est très mauvais : si une personne fait 400 trajets par an, les chances de n’avoir aucun accident est d’environ 1.8%, en d’autres termes, elle a 98.2% de chances d’avoir au moins un accident dans l’année.

La même chose s’applique avec un produit qui nécessite 400 pièces – un iPhone comporte près de 200 composants, généralement composés de dizaine de pièces. Si chaque fournisseur à 99.99% de chance d’envoyer le composant en temps et heure, il y a 96% de chances que le produit puisse être assemblé sans problèmes. Si la probabilité des fournisseurs passe à 99.9%, le produit à 67% de chances d’être réalisé. Si les fournisseurs ont 99% de chances, on se retrouve avec le 1.8% de l’automobiliste. C’est pour cela que quand on parle de fiabilité, on parle du nombre de neufs, le but est d’en avoir au moins quatre. Bref, une petite augmentation du niveau de bordel ambiant a des conséquences dramatiques.

Rien de surprenant à ce qu’on observe les pénuries les plus diverses, suivies par diverses théories du complot, car il faut une raison à cela, pas simplement des statistique, mais une Raison, avec des des coupables. Il y a aussi ceux qui se réjouissent de l’écroulement du système de commerce global. Évidemment, ça frappe autant les produits de consommation inutiles que les médicaments et leur prix. Le bordel ambiant ne distingue pas.

Le mécanisme mathématique pour décrire des évènements en apparence aléatoire est la distribution normale, aussi appelée distribution Gaussienne. C’est une courbe avec une forme de cloche, avec au centre ce qui est probable, et sur les bords ce qui ne l’est pas. Le truc, avec la forme de cette courbe, c’est que la pente est d’abord très faible et devient très raide assez brusquement. Donc si le centre se déplace, certains points de la courbe passent rapidement d’improbable à probable, ou l’inverse.

En d’autres termes, les changements sont d’abord difficiles à percevoir, mais à un point donné, deviennent dramatiques. Pour beaucoup de choses, nous sommes sortis de la partie difficile à percevoir et sommes arrivé au flanc de la normale…

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