Pourquoi je n’écris pas de système de jeu

Si je suis plutôt content d’avoir trouvé un forum actif concernant mon jeu préféré, Rêve de Dragon, il est un peu déprimant à voir réapparaitre les sujets que je pensais avoir laissé dans le XXe siècle. L’un de ces sujet est le remplacement du système du vénérable jeu.

Je ne veux pas dire que ce système est parfait, loin de là : c’est largement un fossile baroque des années 80. Assez lourdaud, il comporte quelques idées intéressantes qui n’ont pas perduré, comme un système multiplicatif, plus juste, mais qui n’a été apprécié que par les mathématiciens et les comptables. On pourrait certainement faire mieux, je pourrais probablement le faire. Mais voilà, je ne fais plus de systèmes de jeu. C’est quelque chose que j’ai fait dans ma jeunesse, j’espère m’être amélioré depuis, je pourrais le refaire, mais je suis arrivé à la conclusion que c’est une diversion, une tentation naturelle, mais à laquelle il faut résister.

Comme mon métier est de programmer, je vois naturellement beaucoup de parallèles entre un programme et un système de jeu : un système de jeu n’est rien de plus qu’une série d’algorithmes de résolution d’actions. On peut donc le simplifier, l’optimiser. Un système de jeu a aussi beaucoup de similitudes avec un langage de programmation : il donne une vision synthétique du jeu, définit le formalisme qui sera utilisé par les scénarios, bref le monde et le système de jeu forment la plateforme sur laquelle seront bâtis campagne et scénarios.

Je pense pas que cette manière de penser soit très originale, régulièrement de nouveau langages de programmation et de nouveau système de jeu sont créés, les mêmes termes sont souvent utilisés pour décrire leurs vertus : fluidité, flexibilité, élégance. En général ils tombent dans l’oubli et les anciens systèmes perdurent, malgré les multiples défaut et leur noms moches : D20, C++.

J’ai été une fois à une présentation de Bjarne Stroustrup, le gourou du langage de programmation C++, et il a dit une chose que j’ai trouvé intéressante : la valeur d’un langage se mesure à ses applications. Traduit en termes de jeu de rôle la valeur d’un système de jeu se définit par les scénarios écrit pour ce système. Si je regarde les scénarios et les campagnes que j’ai aimé, ou ceux qui sont réputés, force est de constater qu’il n’y a aucun rapport avec l’élégance du système de jeu sous-jacent.

Mais bien sûr, me répondront certains, un bon scénario est un bon scénario même sur un vieux système de jeu. Alors pourquoi s’embêter à discuter encore et encore des systèmes de jeu s’il n’a pas réellement d’incidence sur la qualité du jeu ?

Un système de jeu n’est pas un algorithme, c’est une construction sociale, une langage partagé entre le créateur du scénario, le maître de jeu et les joueurs. Comme pour les langages humains, il n’a pas besoin d’être logique ou efficace, il a besoin d’être familier – c’est la raison pour laquelle ce billet est en français, et non pas en esperanto. Chaque amélioration dans un système de jeu introduit une aliénation correspondante pour les maître de jeu et les joueurs. Voilà pourquoi je pense que créer de nouveau système pour des jeux existants, cela revient à vouloir en changer le langage – psychologiquement cela revient pour une personne à dire : « Vous, maître de jeu, vous, joueurs, vous devez parler mon langage ! ». Qui écouterait une telle personne ?

17 thoughts on “Pourquoi je n’écris pas de système de jeu”

  1. Un bon système de jeu doit savoir être invisible, sauf dans les moments où c’est réellement important pour l’ambiance du jeu. Si celui de RDD est dans ce cas, pourquoi le changer à toute force?

  2. Bien entendu, je ne suis pas d’accord avec Thias. Je suis d’ailleurs la cause probable de l’écriture de ce billet. Mais bon. Pourquoi est-ce que je ne suis pas d’accord ? Ben c’est assez simple au fond :

    – écrire un système de jeu est fun.

    – essayer d’écrire un nouveau système de jeu pour remplir les fonctions narratives d’un ancien est aussi fun, et surtout un défi. Est-ce que ça marchera ? Est-ce que ça soulignera ce qui fait l’essence du jeu originel ? (ici Rêve de Dragon, dans l’exercice Vieux pots et nouvelles soupes proposé par le site narrativiste.eu )

    Partant du point de vue défendu par Thias, on pourrait aussi dire, “Pourquoi encore écrire des jeux de rôles”, et pourquoi pas carrément “Pourquoi encore écrire des scénarios”, et finalement “Pourquoi encore jouer.”

    Dans un jeu de rôle, les règles doivent pouvoir être invisibles, c’est un fait avec lequel je ne suis pas forcément d’accord, mais qui fait sens. Les règles, ce sont un ensemble de conventions avec lesquelles on joue pour décider de qui raconte, de qui décide de l’histoire, et si elles sont au chemin, elles n’accomplissent pas leur rôle qui est de facilité la représentation mentale d’un contexte de jeu en cours d’utilisation.

    “Pourquoi le changer à toute force ?” Pourquoi pas ? C’est un défi, un exercice dans la futilité et un pur prétexte pour s’amuser à réviser les connaissances qu’on a de la manière dont un grand classique fonctionne. Ca n’a pas besoin d’être approuvé par quiconque, et je vous nie à tous le droit de me dire que je perds mon temps. Je perdrais mon temps si je tentais de vous expliquer pourquoi RdD et TV3 mériteraient d’être revu à travers les théories actuelles du jdr, puisque vous partez tous les deux de l’idée que je perds mon temps…

    Maintenant vous pouvez penser ce que vous voulez, l’exercice est proposé par Narrativiste.eu (que je cite une seconde fois pour m’assurer que tout le monde a bien compris) et ce n’est pas obligatoire d’y participer ni de penser que c’est utile.

    Et comparer un jdr à de la programmation, c’est comme comparer l’activité de jeu de rôle à de la physique quantique, c’est une exagération. ( Je suis quand même content de lire que tu utilise l’analogie du langage utilisé en jeu et pas de la réduction de fonction d’onde dont tu avais parlé dans un billet précédent et avec lequel je n’étais pas d’accord non plus… )

  3. Je suis plutôt d’accord avec Thias sur le fait qu’un système doit être familier.
    J’ai justement la chance que celui de RdD ne le soit pas pour moi, je peux donc m’amuser à le changer car en l’état je le trouve trop difficile pour que je puisse le mémoriser :)

  4. Ah mais je ne gueule pas contre la familiarité. C’est très bien la familiarité. Mais ce n’est pas non plus un argument contre le bidouillage de nouveau système. Perso, si on part dans cette direction, à part RdD, OtE et Ambre, aucun système ne me parait jamais familier. Alors tant qu’à faire…

  5. Ha oui ben pareil en fait. Plus le Basic, Puddle et Wushu :D

  6. Et en fait, quand je cite RdD, ce n’est plus tout à fait vrai non plus, ça doit bien faire 15 ans que je n’y ai plus touché.

  7. Je peux rejoindre l’auteur de ce blog sur un point…un système est parfois intrinsèquement lié au jeu ou peut lui conférer une certaine texture. C’est très vrai de Reve, où metajeu et réalité intra-ludique se mêlent allègrement. Néanmoins, on pourrait garder l’essence des règles tout en allégeant (comme l’a fait “Oniros”) ou en les débarrassant de certaines lourdeurs…ainsi la table de résolution, rebutant parfois le joueur néophyte (tout MJ expérimenté sait calculer instantanément de tête les chances de réussite à 1 ou 2% près sans elle) peut aisément être supprimée au profit d’un simple jet d’ 1d20 sous Carac+compétence+/- ajustement de condition … C’est exactement la même chose (d’ailleurs multiplié par 5 , on retrouve la table…

  8. @Antoine Je n’ai rien contre l’écriture de nouvelles règles, quand c’est un exercice académique, au même titre que la création de langage informatiques, ou l’écriture de haikus en perl – tant que l’auteur du système ne prétend pas que cela a d’importance que cela va changer quelque chose, c’est juste du fun. La comparaison avec les scénarios me semble erronée: en fin de compte j’ai utilisé énormément d’idées de scénarios trouvés sur le web, quelques scénarios complet, et exactement zero systèmes de jeu alternatif…

  9. :-)

    Bon, si c’est purement un exercice académique ça n’a pas beaucoup de sens. C’est sympa sur le moment et c’est tout. Et justement, pourquoi est-ce que ce serait académique ? Il y a des gens qui utilisent des systèmes maison et ne s’en portent pas plus mal, c’est finalement une question de confort. Mais limiter la création de systèmes jeux à un unique exercice intellectuel, c’est une erreur. Bien entendu, toute prétention à la révolution mondiale est aussi une erreur.

    La comparaison avec les scénarios n’est pas accidentelle. Je connais des meneurs de jeu qui font exactement l’inverse de ce que tu fais, à savoir qu’ils bricolent les règles et laissent les scénarios s’agglomérer autour. C’est une façon de jouer que je pense t’être complètement étrangère, mais qui marche aussi. A condition d’accepter que les joueurs ne soient pas que de simples passagers, mais aussi des collaborateurs à l’effort “dramatique” (ce mot est un peu fort mais je manque de synonymes à l’instant)

    Et j’admets que refaire des règles pour RdD, c’est purement académique. Ne jouant plus à RdD depuis des lustres, je ne les utiliserais probablement pas de toute façon.

  10. @dweller : là je ne parle même pas de simplification ou de refonte, mais carrément de réforme, de réinvention à partir de ce qu’on perçoit du jeu. Une situation de clean-room ou de tabula rasa.

  11. @Antoine, c’est surtout que je joue avec des joueurs qui ne sont pas des MJ à côté…

  12. Oui bon, moi non plus, et c’est un drame personnel. :-)

  13. Bien entendu, je ne suis pas d’accord avec Thias. Mais je ne suis pas non plus la cause probable de l’écriture de ce billet. Mais bon. Pourquoi est-ce que je ne suis pas d’accord ? Ben c’est assez simple au fond :

    – écrire un langage de programmation est fun.

    – essayer d’écrire un nouveau langage de programmation pour remplir les fonctions expressives d’un ancien est aussi fun, et surtout un défi. Est-ce que ça marchera ? Est-ce que ça soulignera ce qui fait l’essence du langage originel ?

    Partant du point de vue défendu par Thias, on pourrait aussi dire, “Pourquoi encore écrire des librairies”, et pourquoi pas carrément “Pourquoi encore écrire des programmes”, et finalement “Pourquoi encore utiliser un ordinateur.”

    Dans un langage de programmation, le langage doit pouvoir être invisible, c’est un fait avec lequel je ne suis pas forcément d’accord, mais qui fait sens. Le langage, c’est un ensemble de conventions avec lesquelles on joue pour décider de qui fait quoi, de qui décide du flux de contrôle, et si elles sont au chemin, elles n’accomplissent pas leur rôle qui est de faciliter la représentation mentale d’un programme en cours d’exécution.

    “Pourquoi le changer à toute force ?” Pourquoi pas ? C’est un défi, un exercice dans la futilité et un pur prétexte pour s’amuser à réviser les connaissances qu’on a de la manière dont un grand classique fonctionne. Ca n’a pas besoin d’être approuvé par quiconque, et je vous nie à tous le droit de me dire que je perds mon temps. Je perdrais mon temps si je tentais de vous expliquer pourquoi le C++ et Java mériteraient d’être revus à travers les théories actuelles des ldp, puisque vous partez tous de l’idée que je perds mon temps…

    Et comparer la programmation à un jdr, c’est comme comparer l’utilisation d’un ordinateur à du théâtre, c’est une exagération. ( Je suis quand même content de lire que tu utilise l’analogie des règles utilisées en programmation et pas de la réduction de fonction d’onde dont Antoine, dépité, m’avait parlé au CCC… )

  14. @Marvelous comme je le disais à Antoine, si c’est un exercice académique et que cela amuse les gens, je n’ai fondamentalement rien à dire, mon problème vient lorsqu’on essaye d’utiliser cet exercice académique pour “améliorer” le processus effectif, que ce soit l’écriture de programmes ou de scénarios de jeu de rôle, je suis beaucoup plus méfiant…

  15. J’avais compris cette partie-là, mais je voulais simplement exprimer mon désaccord dans l’optique des langages de programmation en transposant le commentaire d’Antoine qui me plaisait beaucoup.

    Au fond, quelle est la finalité de cet “exercice académique” si ce n’est l’amélioration du processus effectif ? (As-tu fait trop d’académie ou trop d’industrie pour utiliser cette expression avec tant de dédain ?) Presque tous les langages (et notamment le C++) sont nés de cette même façon, que ce soient les vénérables comme les récents. Ils avaient tous pour but d’améliorer le “processus”.

    Certains sont restés et d’autres pas. Mais c’est à la fois réducteur et insultant de traiter ces essais de futiles. Que ferais-tu aujourd’hui si Denis et Bjarne, découragés par de pareils commentaires, avaient fini sous les ponts ? Tu jouerais à D&D et coderais en BCPL ou Simula.

    Il me semble que tu trouves juste RdD et le C++ à ton goût, mais que tu te sens obligé de te justifier. Si quelqu’un veut t’obliger à te débarasser de tes vieilles casseroles, le problème ne vient pas forcément de toi.

  16. Je veux avant tout faire du jeu de rôle, pas de bricoler le système de jeu, de même mon but premier est de programmer, pas de bricoler mon environnement de programmation. Je n’ai rien contre le fait que des gens fassent des expériences – mais je n’ai pas envie d’impliquer trop mes parties, ma programmation, mon temps dans le processus.
    Mon principal problème, c’est que ce qui ne marche pas bien dans le jeu de rôle (et la programmation), c’est les processus sociaux et les à côtés, le système de jeu n’est pas parfait, bien sûr, mais ce n’est pas ça qui coince le plus. Optimiser mes parties de jeu de rôle en changeant le système, c’est un peu comme vouloir m’optimiser mon vélo en mettant un cadre carbone, alors que la chaîne est rouillée et les pneus sont mal gonflés.

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