Une époque intéressante…

Martin Luther par Cranach – Domaine Public

Nous vivons indubitablement une époque intéressante : Manning condamné à la prison pour un tiers de siècle, Snowden en fuite, Assange assiégé dans une ambassade. Le monde est secoué par une série de révoltes, paisibles ou non, clairement il se passe quelque chose, mais ce n’est pas un conflit clair, avec les bleus d’un côté, les rouges de l’autre.

En guise d’explication on essaye les chablons du passé proche : conflit de génération (comme en mai 68), conflit entre riche et pauvres, le pouvoir et les opprimés. Je ne pense pas que ce soient les bonnes explications, les deux dernières sont plus ou moins des tautologies, tout conflit civil impliquera directement ou indirectement du pouvoir et de l’argent, et ces questions ont toujours été là, elles ne sont pas spécifiques à la situation présente.

Je ne pense pas non plus que parler de conflit de génération soit approprié, clairement le temps joue un rôle, il y a l’avant et l’après internet, mais je n’ai pas l’impression que les générations soient clairement alignées. Si je devais définir des camps dans ce chaos, j’aurais tendance à dire que ce sont les geeks contre les institutionnels ; mais c’est une caricature, la question sous-jacente est : comment traite-t-on les informations ? quel est leur rôle dans la société ? C’est aussi pour cela que la situation est compliquée : selon les sociétés et leur structures, cette question divise autrement.

Aux alentours de 1439, un type a introduit un nouveau média, il y a eu des prédécesseurs, les idées étaient dans l’air depuis longtemps, mais il parvient à déployer le système à grande échelle ce qui entraîne une révolution dans la manière dont on traite les informations ; les uns s’émerveillent, les autre affirment que cela causera la fin de la civilisation, bref, la routine. 78 ans plus tard, un moine créé la panique en affichant publiquement ses objections contre une pratique douteuse du gouvernement central, il se base pour cela sur une idée complètement saugrenue : le texte de référence sur lequel la société est basée, clairement un truc de geek. S’en suit pas mal de bordel…

Il y a 30 ans un nouveau média a émergé, et à présent trois moinillons ont affiché publiquement leurs objections aux pratiques douteuses du gouvernement central, en se basant sur l’idée saugrenue de la transparence et de la communication sur lesquelles les société démocratiques sont théoriquement basées, un truc de geek, encore une fois. S’en suit pas mal de bordel. À l’époque, on a nommé les fauteurs de trouble des protestants, je me demande quel nom retiendra l’histoire pour ceux d’aujourd’hui…

6 thoughts on “Une époque intéressante…”

  1. Tiens, ça me rappelle le boulot. :)

    Note que certains protestants sont également appelés “réformés”.

  2. Juste pour préciser : dans mon texte, je parle de “conflit de génération” mais la génération n’a rien à voir avec l’âge. Je connais des moins de 30 ans qui sont déjà très clairement dans le côté anti-numérique et des nonagénaires qui supportent à fond cette révolution.

    Je suis également très dubitatif vis-à-vis de ta comparaison car le protestantisme est vite devenu un phénomène géographique et politique très traditionnel. Les pays protestants contre les catholiques. Les blancs contre les noirs. Ici, de par la nature même de la révolution, il me semble impossible de cloisonner les populations.

    Mais idée intéressante

  3. Le clivage s’est aligné sur des lignes géographiques une fois que les gens se sont, volontairement ou non, déplacés. Une fois tous les protestants partis, la France est (re)devenu un pays catholique.
    Pourquoi est-ce inconcevable que les gens se déplacent en fonction de leur idées?

  4. Tu d,mandais comment on va les nommer…
    Ben peut-être bien les geeks, tout connement.
    On revoit ça dans 10 ans, le temps que soit digérée cette donnée?

  5. La comparaison est tout à fait pertinente. D’ailleurs, elle est loin d’être nouvelle. Le parallèle entre le Web et Gutenberg a déjà été fait de nombreuses fois, mais ce qui retenait son acceptation, à mon avis, était que beaucoup de gens trouvaient osé de comparer le Web, outil encore très nouveau, à l’invention de Gutenberg, dont les effets sont bien connus avec le recul que nous avons.

    Pour ceux qui veulent creuser, je recommande chaudement la lecture de “Le Maître de Garamond”, d’Anne Cunéo, qui montre bien comme le lien entre l’imprimerie et la libéralisation de la connaissance ne se limite pas à Gutenberg, mais aussi à ses successeurs, grâce à diverses améliorations comme les polices de caractères romanes, l’italique, etc., et comment tout cela renforçait le mouvement d’accès aux connaissances pour tous (alors qu’elles étaient détenues exclusivement par l’Eglise; il ne s’agit pas que de la Bible).

    Je trouve cela très proche de ce que nous vivons, où de nombreux hackers s’appuient sur l’outil de base (le web) pour aller plus loin et faire sortir des connaissances d’un cercle restreint (aujourd’hui, les gouvernements et l’oligarchie dirigeante).

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