Lors de ma dernière année au collège, nous avions le choix des lectures, aussi longtemps que ce choix comportait Proust. Si j’étais à l’époque un avide lecteur, je n’avais pas vraiment apprécié Du côté de chez Swann qui m’était apparu comme lourd et monotone. Alors que les souvenirs de ce texte se sont largement estompés, ce qui me reste, c’est une impression de linéarité et de structure, très différente de la manière sont structurés mes souvenirs.
Je pense que je ne pourrais jamais reconstituer ma vie de manière linéaire, ma mémoire fonctionnant principalement par associations, chaque idée en évoquant une autre associée dans un espace ou le temps n’est qu’un vecteur parmi tant d’autres et ou les souvenirs se noient parmi d’autres idées. Un goûter de mon enfance peut tout autant aboutir sur des réflexions sur la conception des avions qu’à des souvenirs antérieurs ou des pensées sur des évènement hypothétiques. Certains y verront sans nul doute un manque de discipline, mais je ne pense pas qu’une narration linéaire de ma vie ait un réel intérêt.
Lorsqu’on a un petit nombre d’éléments à gérer, nul besoin de statistiques, on comprend le problème en entier, mais rares sont les choses sont qui sont suffisamment simples pour tomber dans ce cas. La somme des expérience et des pensées d’une personne n’entre clairement pas dans cette catégorie. Alors on on synthétise, on se souvient du meilleur et du pire, des extrema. Considérer quelque chose par ses deux bornes est un modèle simple, on définit le royaume par son mendiant et son roi. À travers un tel prisme, les souvenirs d’une vie peuvent devenir un récit dramatique ou épique.
L’esprit n’aime pas la moyenne: on oublie la routine, les jours normaux, mais peu à peu on réalise que le quotidien est important, et on cherche à l’améliorer: la moyenne devient le but à atteindre, ou la barre à relever. Banale, la moyenne n’en devient pas moins le centre de toutes les attentions, le sujet des discours des politiques. Certains iront même jusqu’à parler d’écart type ou de distribution gaussiennes. Un récit parlera de norme sociale, de codes et des déviations mineures. Pour moi Proust tombe dans cette catégorie.
La semaine dernière, j’ai eu une discussion très intéressante avec un collègue de chambrée. Sa théorie était que souvent les gens assument qu’une distribution est gaussiennes, alors qu’elle ne l’est pas réellement, et que, surtout dans les domaines biologiques ou humains, les distributions sont autosimilaires. C’est une idée qui me séduit assez, ne serait-ce que parce que je perçois ma vie comme très auto-similaire: certains événements se répètent mais avec des intensités changeantes, certaines personnes réapparaissant mais avec des fréquences différentes.
Les déviations pas mineures que l’on oublie, c’est le quotidien avec un bébé ou un petit enfant. Cela dure peu de temps par rapport à toute la vie mais devrait marquer – hors ça s’estompe assez vite au fur et à mesure que grandit le petit, ça fait bizarre de revoir les films.