Aïkidō et déterminisme…



La plupart des arts martiaux ont une philosophie sous-jacente. Selon les points de vue cela peut-être une décoration sémantique sur des techniques guerrières ou le but d’une discipline corporelle. Dans les différents arts martiaux que j’ai pratiqué, c’est une chose à laquelle je ne me suis pas trop intéressé. D’abord parce que je suis surtout attiré par la dimension physique, et que pratiquant en général le soir, mon esprit n’est en général plus en état de considérer des choses profondes.

Ensuite il y a la barrière de la communication : pour le shōrin-ji kempo, l’enseignement étant en japonais, je n’avais simplement pas le niveau pour comprendre une explication complexe, surtout lorsqu’elle était donnée avec un vocabulaire et une grammaire mystique. Le professeur récitait parfois des textes d’un parchemin, je n’arrivais en général même pas à trouver le verbe dans la phrase. Je restais donc sagement en seiza, me détachait et méditait sur le son de ses mots. De retours en Suisse et pratiquant l’Aïkidō, j’ai le problème inverse, le professeur évoque des concepts qui ont pour lui un sens précis, mais je sens qu’il y a une dissonance cognitive entre lui et moi, certains termes sont pour lui une notion abstraite, alors que je l’ai vécu, que je le sens, pour d’autres termes, c’est l’inverse…

Je suis le premier à admettre que je ne suis de loin pas un élève modèle, alors que les autres naviguent d’examen en examen, et suivent un seul art martial, j’ai l’impression de suivre une voie différente, admirant les îles des kyū et des dan avec fascination, mais peu d’inclinaison à m’y rendre. Je porte assez de titres, et obtenir une ceinture colorée ou un hakama noir ne me motive pas particulièrement, j’ai passé depuis longtemps le cap ou je pouvais espérer atteindre un niveau sérieux dans un art martial, ou devenir cuisinier sur un porte-avion, donc autant suivre le vent et voir où il va me mener.

En fin de compte, la philosophie sous-jacente n’est importante que dès le moment ou elle implique des choix. Les techniques, par opposition au savoir, impliquent toujours un tradeoff, la décision qu’un aspect, une variable peut-être sacrifiée pour obtenir un meilleur résultat. Paradoxalement la philosophie ne devient donc significative que dès le moment ou elle est concrétisée par la technique. Si je n’ai pas particulièrement progressé cet automne, j’ai l’impression de commencer à voir certains concepts derrière la pratique de l’Aïkidō.

Un des explications les plus fascinantes que j’ai entendu au club était celle du non-déterminisme des techniques. En gros, dès le moment ou l’on a décidé quelle technique on allait faire lors d’une attaque, le corps va trahir cette intention et permettre à l’attaquant de la contre-carrer. La solution choisie à ce problème est de ne pas décider de la technique jusqu’au dernier moment, au moment ou la conclusion de la décision s’impose d’elle-même. Toutes les techniques naissent d’un point dans l’espace et le temps, comme le point de séparation des eaux de deux fleuves. C’est un choix intéressant, dans le sens qu’il est lié à la nature défensive de l’Aïkidō. Dès le moment ou il y a attaque, il n’y a pas de choix, juste une réaction, ce qui est censé, vu qu’un choix est quelque chose de difficile, et de long (en terme de temps).

Est-ce que cela veut dire que l’on abdique complètement la décision à l’agresseur, dans un sens oui, si ce n’était la notion d’ouverture. L’idée à présent est de part sa posture influencer l’attaque que l’on va subir, c’est quelque chose qu’on voit beaucoup dans l’entraînement aux armes, ou une attaque n’a lieu que s’il y a une ouverture. On passe de l’art martial au language corporel, la manipulation psychologique.

Un corollaire de ces décisions est la question de la sincérité. Une technique d’Aikidō n’est possible que s’il y a une attaque, et la qualité de la pratique de technique dépend beaucoup de la sincérité de l’attaque. La difficulté réside dans le fait que pour maîtriser la technique, il faut la répéter, et donc que tori (le pratiquant) et ukemi (l’attaquant, qui subira la technique) savent pertinemment ce qui va se passer, mais doivent prétendre que l’attaque et la technique sont une surprise totale. Si le dernier chaton est parfaitement capable d’attaquer avec tout son être un bout de ficelle, et peut-être de croire qu’il va cette fois-ci l’attraper, c’est plus difficile pour un humain adulte…

Les débutants ont quelque chose du chaton, dans le sens que leur attaques n’ont pas encore été corrigées. Une des hypothèses les plus compliquées à gérer au niveau des attaques, c’est qu’elles soient fait par quelqu’un de vaguement compétent. En ce sens les attaques des débutants sont à la fois justes (sincères) et mauvaises (techniquement). Il y a quelque chose de frustrant à devoir passer par une phase ou les attaques sont ne sont ni sincères, ni particulièrement bonnes techniquement.

Intuitivement, l’alternative sera d’avoir des combats plus libres, plus vrais. Dans les faits, je trouve que le randori est très déterministe, les attaques et les techniques venant spontanément étant celles avec lesquelles ont est le plus à l’aise. On se retrouve donc avec le résultat inverse de ce que l’on aurait pu escompter.

Je suppose qu’on pourrait lier cette question de sincérité avec les notions de Honne et tatemae, mais ce sera pour un autre jour…

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