
Les jérémiades sur le bon français sont pour moi une des raisons que j’évite de plus en plus les forum francophones. Il y a des connards dans toutes les cultures, mais les règles du bon français est une munition merveilleuse pour miner une discussion. Évidemment, je suis retombé dans une de ces conversations, où l’on m’a accusé d’écrire comme un adolescent boutonneux. Je doute que mon écriture ait été le réel problème, mais il est plus simple de critiquer la forme que le fond, et rien n’exalte autant la beauté de langue q’une attaque ad-hominem. Mais cette insulte m’a laissé songeur.
La faute terrible qu’on me reprochait était d’avoir omis une majuscule, probablement parce que j’ai ajouté un point dans ma phrase, que le clavier virtuel de mon téléphone n’a pas suivi et je n’ai pas remarqué. Je dois avouer que je n’ai qu’une idée très vague du genre d’erreurs que ferrait un adolescent aujourd’hui – mais je soupçonne que l’accentuation ne serait pas le problème le plus saillant. J’ai été en-ligne pour la première fois à la fin des années 80, sur une BBS qu’animait Patrick Allenbach de la Radio-Télévision-Suisse. J’étais alors un adolescent, je ne souviens pas du status de mon acné1, évidemment, à l’époque traiter les gens d’adolescent n’aurait pas été une insulte, juste une observation. Depuis, je me suis fait traiter de beaucoup de choses, bien pires, curieusement la situation ne s’est pas arrangée avec l’arrivée des gens culturés…
On a tous été adolescents, et s’il y a une chose qu’on ne contrôle pas à cette époque de sa vie, c’est l’acné, justement. Le fait qu’à 14 ans, on ne maîtrise pas l’orthographe est plus un problème de société que de l’individu, c’est une caractéristique du français. Le serbe s’écrit phonétiquement, et la question de l’orthographe est donc largement résolue au moment de la puberté. Le problème n’est littéralement pas l’adolescence, mais la langue. On reproche aux jeunes de ne pas vouloir payer la dette technique causée un comité de séniles, ce n’est pas la seule dette qu’on leur laisse, à y réfléchir…
Je soupçonne que les jeunes d’aujourd’hui s’inquiètent plus du changement climatique, comme nous nous inquiétions de l’apocalypse nucléaire. Je peux difficilement leur donner tort. Si j’avais un moyen de communiquer avec le moi des années 80, il y aurait certainement des conseils, des mots d’encouragement que j’essayerais de prodiguer, mais soignes ton français ne serait pas dans la liste. Le fait est que le suisse-allemand que j’avais soigneusement réprimé à l’époque et qui était clairement méprisée par les enseignants, m’est bien plus utile aujourd’hui.
Que diraient ces gens à leur moi adolescent ? Soignes ta maîtrise de l’orthographe et de la langue française ! Ça fera de toi une personne exceptionnelle dans un monde de correcteurs automatiques, et où l’anglais est omniprésent, un pilier de la société. Car le gros problème en 2023, la raison pour laquelle Paris brûle, c’est la langue française.
Comme d’autres, je suppose, je me pose des questions sur les nouvelles technologies et l’avenir en général, et parfois la fraicheur d’esprit de la jeunesse me manque. Si les adultes ont moins de boutons sur le visage, et parlent et écrivent de manière bien plus normée, ils semblent plus obsédés par des préoccupations puériles, rouler sur la route avec des faux tanks et hurler que le problème c’est les autres…