L’organisation AlpRail a fait un communiqué de presse concernant l’Extension du Léman Express et du futur RER lyonnais dans le Haut Bugey. L’idée proposée est relativement simple : étendre le Léman Express de Bellegarde jusqu’à Nurieux-Volognat et l’établissement d’une ligne de RER Lyonnais jusqu’à Oyonnax, cela permettrait de couvrir la ligne entre Bourg-en-Bresse et Genève via la ligne des Carpates.

Touristes en train

Si j’ai longtemps habité dans la région genevoise, je dois avouer que cette région, le Haut-Bugey, m’est largement inconnue, et je n’ai jamais entendu parler de ses ambitions touristiques. C’est pourquoi cette partie du communiqué m’a fait tiquer :

Multipliez le chiffre des travailleurs navetteurs et vous obtenez le nombre de touristes, qui, des oyonnaxiennes et oyonnaxiens vont au lac de Nantua, ou, des suisses en soif de découverte du viaduc de Cize-Bolozon ou de la ville de Bourg et de son riche patrimoine.

D’abord, le nombre de travailleurs navetteurs n’a qu’une très faible correlation avec le nombre de touristes, au delà du fait qu’une fois de chemin de fer permet les deux. Le RER parisiens transporte plein de navetteurs vers des localités que peu de touristes visitent. Pour avoir des touristes qui viennent en train, il faut :

1. Qu’il y ait quelque chose à voir.
2. Que cette attraction soit accessible en transports publics ou à pied.

L’arrêt de train la plus proche du lac de Nantua est Brion-Montréal La Cluse. C’est une halte avec une seule voie, construite en dehors de toute agglomération. Il y a un parking, et un rond point. D’après Google Maps, il faut 27 minutes à pied pour rejoindre le parc du lac de Nantua. Le trajet longe la D979, et n’a pas l’air particulièrement bucolique. Si la gare de Nantua était remise en service, la plage de la Colonne est à quelques minutes. Après on peut faire le tour du lac à pied, ça ressemble à ça :

Le viaduc de Cize-Bolozon est effectivement impressionnant, et semble être un des points d’intérêt du sentier pédestre l’épaulette de Cize-Bolozon, une randonnée de 4 heures. Si cet itinéraire est mentionné par les différents offices du tourismes (qui insistent que c’est gratuit), il faut acquérir un livre pour l’obtenir. Évidemment, cette balade est conçue pour les gens avec des voitures, et donc une boucle, mais elle passe par deux gares (Bolozon et Daranche) et si elles étaient accessible en moins d’une heure depuis Genève, cela serait effectivement une randonnée intéressante. Est-ce une attraction qui peut générer un flot de voyageurs significatif ? Bien sûr que non.

Les suisses peuvent déjà visiter Bourg-en-Bresse en train, la ville est accessible en 1:20 en TGV depuis Genève. Un réseau de RER pourrait augmenter la fréquence (il y a environ un train toutes les deux heures), mais certainement pas raccourcir le temps de trajet. La gare de Bourg-en-Bresse se trouve à environ un quart d’heure à pied du centre ville historique. L’attraction principale de la ville semble être le Monastère royal de Brou qui se trouve à 20 minutes à pied de la gare. On peut peut s’y rendre en bus, mais il faut changer (ligne 2, puis 6) et les bus ne circulent pas le dimanche.

Bref, c’est une région où la vie s’est organisée autours de la voiture, un service ferroviaire peut changer la donne pour ceux qui vont travailler sur Genève, mais aura probablement un impact mineur sur les autres types de déplacements, surtout touristiques. On ne peut pas juste coller un train sur modèle touristique des années 80. S’il y a un point touristique qui aurait un attrait depuis Genève, c’est le Parc Naturel Régional du Haut-Jura, qui se trouve dans une autre région administrative, et la liaison ferroviaire Saint-Claude – Oyonnax a été mise en hors-service.

Frontaliers

Transférer les frontaliers qui prennent la route pour se rendre au travail sur Genève est une bonne chose, mais le Haut-Bugey, ne fait pas partie du du bassin genevois, qui traditionnellement s’arrête au Fort de l’Écluse. La suggestion est de prolonger la ligne L6 du Léman Express jusqu’à Nurieux-Volognat¹. La population de Nurieux-Volognat était de 1028 habitants en 2017, c’est réellement très peu, et pas assez pour justifier le terminus d’un train, le fait qu’il y ait une halte TGV n’y change rien. Il n’y a qu’une localité importante dans cette zone, c’est Oyonnax.

Voici un graphique sommaire² de la population sur les différents arrêts le long de la ligne Genève – Oyonnax. On remarque qu’après Bellegarde, il n’y a plus d’agglomération de plus de 4000 habitants avant Oyonnax et que certaines haltes sont dans des agglomérations de moins de 1000 habitants.

Avoir un RER qui dessert des agglomérations de moins de 1000 habitants n’a pas beaucoup de sens, surtout à 45+ minutes du centre de gravité régional. Oyonnax est au centre de la Plastics Vallée et son économie a longtemps été indépendante de Genève. Avec le déclin de l’industrie plastique, les choses ont changé. Longtemps la ville n’a pas compté de frontaliers, ils étaient 25 en 2011, 161 en 2018. Plus qu’un RER, je pense qu’il faudrait dans la région un service rapide qui lie Oyonnax à Genève en servant les agglomérations de plus de 3000 habitants entre Bellegarde et Oyonnax : Nantua, Montréal-la-Cluse et Bellignat, avec comme but d’avoir un temps de trajet similaire à la voiture, un peu plus d’une heure. Cela aurait aussi l’avantage d’ajouter une destination au départ de Genève.

Est-ce que la région peut se le permettre ? Vu la situation politique, je dirais que non, mais en assemblant les chiffres pour le graphique ci-dessus, un autre nombre est devenu apparent. Au delà d’Annemasse, les agglomérations se dépeuplent. Voici un graphe qui montre le changement de population par année sur environ les dix dernières années. Les données ne sont pas très précises car j’ai du prendre des périodes différentes, selon les villes, et fait une approximation linéaire, mais la tendance générale est là  les agglomérations du Genevois (sauf Avully) ont vu une augmentation significative, alors qu’à partir de Bellegarde, i.e. au delà du réseau Léman-Express, la population est stable ou décroit.

Les raisons pour ce déplacement de population sont probablement multiples, mais les infrastructures et l’emploi jouent certainement un gros rôle. S’installer dans une région où une automobile est absolument nécessaire n’est pas très attirant lorsqu’on envisage un futur sans moteurs à combustion, et une énergie bien plus onéreuse, ou si bêtement on veut pratiquer la mobilité douce.

La question n’est peut-être pas si la région peut se permettre une liaison ferroviaire sérieuse, mais si elle peut se permettre de ne pas en avoir si elle veut survivre.