Jouer à Rêve de Dragon (2) Le groupe

J’ai eu de très bonnes réactions à mon billet sur comment jouer à Rêve de Dragon (RdD), mais on m’a reproché, à raison, de surtout parler de l’univers, et pas tellement du jeu, i.e. comment est structuré un groupe, à quoi ressemble un scénario. Dans cette seconde partie, je vais essayer de rectifier cela.

La tradition du voyage

L’envie du voyage est une caractéristique de l’univers, elle prend les jeunes qui partent à l’aventure, certains vont jusqu’au prochain village, d’autres continuent. Le voyage est donc une tradition qui remplit un rôle capital dans un univers divisé par des déchirures de rêve sans retours, celui de la communication. La notion d’auberge des voyageurs s’inscrit dans cette tradition, c’est un endroit où les voyageurs peuvent passer la première nuitée gratuitement.

Normalement, les personnages de Rêve de Dragon sont toujours des voyageurs. Peut-être ont ils été pris de l’envie de voyage, peut-être sont ils en fuite après un crime terrible, ou bien pour oublier un échec amoureux, ou par ambition, leur lieu d’origine étant trop étriqué, l’important est qu’ils sont en voyage, qu’ils s’inscrivent dans cette tradition. Le groupe se forme de manière organique, voyager seul dans une contrée désolée est dangereux. Peut-être que les personnages se connaissaient déjà, peut-être qu’ils ne se sont jamais rencontrés auparavant, le fait est qu’ils arrivent dans un lieu ensemble, et que du point de vue des locaux, ils sont les voyageurs. Le scénario peut commencer.

Cela peut sembler très classique, et un peu forcé, mais ici, tout l’univers est conçu pour que cela soit logique. Un aspect clef du monde de rêve de dragon est la déchirure de rêve, c’est un portail à sens unique d’un univers à l’autre, parfois ils sont visibles (mauve du côté entrant, jaune de l’autre), parfois non. Il est donc parfaitement naturel qu’un voyageur perdu dans une jungle se retrouve tout à coup avec un groupe qui erre en haute montagne.

Un autre concept du jeu est celui de gris-rêve, c’est un état second où l’on voyage sans en être pleinement conscient, qui permet d’expliquer comment les personnages ont traversé un désert, mais n’en gardent qu’un souvenir vague, cela permet à la gardienne de passer sur des aspect peu intéressant de l’histoire, comme les voyages d’Indiana Jones qui se résument à une flèche rouge sur la carte.

Des scénarios et des rêves

Un scénario RdD peut littéralement commencer en pleine action : par exemple, les personnages émergent du gris rêve alors que le chef de la garde leur dit et que je n’aie pas à expliquer cela une seconde fois !. Comprendre comment on est arrivé là est la moitié du scénario¹. Comme dans d’autres jeux de rôle, les voyageurs peuvent découvrir en arrivant une opportunité locale, et décident d’enquêter, ou bien leur présence déclenche une conflit jusqu’à là larvé, mais souvent la quête a son origine dans le rêve.

La forme de quête onirique la plus classique de RdD est le rêve souvenir – un élément rencontré durant la journée provoque, telle la madeleine proverbiale, un rêve d’une incarnation précédente des voyageurs. Pour se souvenir pleinement de cette vie antérieure (avec l’expérience qui en découle), ils vont donc devoir reproduire une sensation, une expérience. Le but de la quête peut-être virtuellement n’importe quoi, reconstruire un monument, voir un roi jongler. Une des plus belles campagnes du jeu est Un parfum d’Oniroses, une quête dont l’objet est un parfum. Évidemment, la première phase d’une quête souvenir est de trouver qui d’autre a fait le même rêve, qui d’autre était là, dans l’autre vie. Le groupe se forge ainsi sur des souvenirs partagés, si cela se trouve, les personnages ont réellement gardés les ziglutes ensemble.

Une autre moteur de scénario propre à RdD est le micro-rêve. Il s’agit d’un petit univers de poche dans lequel les personnages sont coincés, pour pouvoir le quitter, et continuer le voyage, il faut en percer le secret. Le micro-rêve peut-être une dystopie magique (l’Empire du Roi Joueur), une jungle (le sacré pinceau à Barbe), ou bien une auberge (l’Auberge des Derniers Voyageurs). L’avantage du micro-rêve, c’est que cela permet toute sortes d’expériences, si on veut un univers entièrement urbain et architectural, c’est possible.

Les rêves peuvent aussi permettre d’avoir un aspect du scénario réglé dans une narration imbriquée. Par exemple, le groupe peut, en rêve, convaincre un bourgmestre passé de reconstruire un pont donc ils ont besoin. il y a deux niveaux, la réalité où le pont est cassé, et le rêve, passé, où les personnages organisent le chantier. Ce type de scénario permet aussi d’éviter les narrations ennuyeuse : pas besoin d’expliquer le passé, on peut le jouer.

Ces différents formats de scénarios peuvent dérouter, surtout les joueurs et joueuses qui sont habitués à des parties plus classiques, la différence est la même qu’entre un film d’action et Inception de Christopher Nolan. Cela peut intimider le gardien ou la gardienne de jeu, mais il faut savoir qu’il y a beaucoup de scénarios disponibles pour le jeu, et ceux de Denis Gerfaud sont fort bien écrits. Naturellement, il est parfaitement possible de faire un scénario parfaitement normal, cela permet d’ailleurs d’offrir de la variété, et de prendre les joueurs et les joueuses à contre-pied…

Dans la durée, un scénario ou une campagne de rêve de dragon ressemble à un épisode d’une série télévisée des années 80 : le scénario terminé, le groupe est essentiellement dans la même situation qu’au début, et les héros s’en vont vers le soleil couchant, s’il y a quelques personnages récurent, la plupart ne sont là que pour un épisode. Dans une large mesure, les épisodes sont interchangeables.

Les personnages

Comme mentionné plus haut, les personnages sont avant tous des voyageurs et des voyageuses et le moteur principal du jeu est la découverte, du monde, mais aussi de soi-même, de redécouvrir les compétences des incarnations précédentes (l’expérience et les compétences). Ils peuvent aussi s’enrichir, mais cela permet surtout d’avoir de beaux vêtements, de descendre dans des belles auberges – quand il y en a.

À quoi bon acheter une belle demeure dans une ville, quand on n’est pas sûr de pouvoir retrouver une déchirure pour y retourner, et même si on parvient à retourner à la même ville, il se peut très bien qu’il s’agisse d’une variante ou la demeure en question n’a jamais existé, ou appartient à un autre. Mieux vaut dépenser son argent dans une fête légendaire, qui a une chance d’avoir des échos à travers les rêves…

Les personnages peuvent probablement gagner une réputation, voir un statut social dans un lieu donné, mais dès qu’il changeront de rêve, ils risquent fort d’arriver dans un rêve où l’on n’a jamais entendu parler d’eux. Il existe des fait légendaires, naturellement, mais il concernent souvent le second âge, où les villes étaient belles, les femmes étaient de vraies femmes, les hommes de vrais hommes, et les broluttes à rayures étaient de vraies broluttes à rayures. Une bonne part des légendes du troisième concerne des voyageurs…

Bref, si un personnage veut jouir de sa richesse, de sa gloire, ou d’une quelconque titre social qu’il a gagné, il doit cesser doit d’être un voyageur et donc sortir de l’histoire. Il n’est pas rare qu’un ou une notable du village est un ancien voyageur, une ancienne voyageuse. Cela ne veut pas dire qu’un scénario ne peut pas s’attarder à un endroit particulier pendant des semaines, voire des mois. Mais tôt ou tard, ce sera on the road again.

Le système de RdD n’a pas de classes, un individu est défini de manière fort classique par ses caractéristiques et ses compétences. Le jeu ne distingue qu’entre haut-rêvants (qui peuvent faire de la magie) et vrai-rêvants (qui ne peuvent pas). Les joueurs et les joueuses peuvent évidemment créer des personnages archétypiques du médiéval fantastique, guerrière, voleuse, ranger, magicienne, rien ne les y oblige.

Dans les faits, des personnages avec des compétences plus diversifiées ont une valeur dans ce jeu, il y a autant de chances qu’il faille gagner une compétition de bras de fer qu’un concours de fabrication de queues d’aronde (menuiserie). Dans un monde où légendes et rêves ont un rôle si important, des talents musicaux, ou la connaissances des légendes sont importants, et pouvoir baratiner les gens est capital. Bref, les compétence secondaires, ne le sont pas tant que ça.

J’ai conçu quelques personnages pré-tirés, qui peuvent donner une idée de ce que l’on peut jouer.

¹ Les lecteurs et lectrices les plus observatrices auront remarqué que a) il y a des notes de bas de page dans ce billet et b) qu’il s’agit là de la structure du film Deadpool

Leave a Reply

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.