Genève, prochaine étape

Plan de voies du réseau Compagnie Genevoise de Tramway Électriques (CGTE) en 1945

La ligne du CEVA a finalement été construite et le Léman Express est un succès. Se pose la question de la prochaine étape, du prochain projet. La ligne du Tonkin est un projet en cours, mais il se trouve largement en dehors de la sphère genevoise. Les TPG continuent à développer leur réseau de tramway, mais dans une large mesure il s’agit de reconstruire un réseau qui existait en 1945. Le choix du tramway a l’avantage d’être clairement du ressort des TPG, mais il souffre du même problème qu’il y a 80 ans : un tramway qui s’arrête à intervalles réguliers est lent. Il faudrait que le réseau de tramway et de bus soit soutenu par un réseau de transport public plus lourd et plus rapide, le train.

La confédération subventionne des projet d’infrastructure régionales, et le canton de Genève est naturellement en lice, avec le projet de diamétrale ferroviaire Bernex – Cherpines mise à l’étude dans le projet de loi 13176. Le projet n’est pas dénué de sens, la région de Bernex se développe beaucoup, mais il n’est pas très ambitieux et très centré sur l’agglomération genevoise. C’est que lui reproche en substance le rapport du cabinet 6T dans plusieurs points assez simples :

  • Le ferroviaire est intéressant à partir de 5km de distance, ce projet n’a pas ce rayon – il y a 4.8 Km par la route entre Lancy Pont-Rouge et Bernex.
  • Le projet n’adresse pas le report modal du Pays de Gex, du Genevois Haut-Savoyard ou l’arrière pays du District de Nyon.
  • Le concept genevois pose une solution avant d’avoir posé le problème qu’il est censé résoudre.

Le fait est qu’une grosse partie du traffic routier à Genève provient des frontaliers, donc il sera difficile d’atteindre les objectifs climatiques que le canton s’est posé s’il n’y a pas d’offre de transports publics pour eux.

Si je suis assez d’accord avec le bureau 6T que le projet actuel à peu de chances de trouver grâce à Berne, je ne pense malheureusement pas que l’alternative proposée, un projet transfrontalier ambitieux, soit réaliste non plus : les projets transfrontaliers, c’est compliqué.

Si le Léman Express s’est révélé être un succès, il jouissait de plusieurs avantages :

  • Le gros des travaux du CEVA étaient en Suisse – il y a moins de deux kilomètres depuis la frontière jusqu’à la gare d’Annemasse.
  • La partie française s’est faite sur un site existant
  • Une bonne partie des travaux sur le réseau côté français était surtout une remise à niveau de la voie, avec des technologies de la fin du XXe siècle : Block automatique, traverses en béton.
  • Le projet a transféré la responsabilité de la ligne Eaux-Vives – Annemasse de la SNCF aux CFF.

Le succès du Léman Express a aussi clairement été une surprise : trois ans après la mise en service, la gare d’Annemasse, qui avait été largement refaite, est déjà saturée.

Automotrices des Chemins de fer Économiques du Nord en gare d'Annemasse en 1955Mis à part la ligne abandonnée de Divonne à Bellegarde, il n’y a pas d’infrastructure ferroviaire qui puisse être ramenée à la vie dans le Genevois. Le Chemin de fer du Salève (1892 – 1935) et le réseau de la Haute-Savoie de la société des Chemins de fer économiques du Nord (1891 – 1959) ne sont plus que des fantômes. Bref, il faut construire, et surtout concevoir du neuf.

Le problème c’est qu’il n’y a pas, du côté français, de réelles ambitions ferroviaires, où même de transports publics. Le département de l’Ain, en particulier, est desservi par deux agences, les Transport Publics Genevois (TPG) et le réseau car.ain.fr qui a trois lignes dans la région du Genevois, la 160 (A60 sur l’horaire) qui suit fondamentalement le tracé de l’ancienne ligne de train depuis Gex jusqu’à Bourg-en-Bresse en passant via Bellegarde, la 153 (A53 sur l’horaire) qui lie Mijoux, derrière le col de la Faucille à Bellegarde en suivant la crête du Jura et la 136 (A36 sur l’horaire) qui lie Challex à Bellegarde et partage le tracé de la 160 à partir de Péron.

Les trois lignes sont perpendiculaires aux radiales venant de Genève, ce sont des lignes orbitales. Plus important, c’est lignes n’ont pratiquement aucune importance, vu leur très faible fréquence : la ligne 160 circule une fois par semaine, la 153 circule deux fois par jour, la 136 une fois par jour du lundi au vendredi en période scolaire, sinon elle circule le jeudi. La qualité de la documentation et du site web (le site car.ain.fr ne redirige pas sur le site principal) donne une assez bonne idée de l’importance de ces lignes.

Pour construire ou ligne de chemin de fer, surtout un nouveau tracé, il faut un minimum de volonté politique. Genève se trouve devant un choix difficile, proposer un projet uniquement en Suisse, qui aura par définition une portée locale, ou bien un projet trans-frontalier, avec des partenaires qui ne sont pas intéressés. Pour tout compliquer, Genève souffre de deux autres problèmes.

Le premier problème typiquement genevois, c’est l’amour du beau projet, que ce soit la boucle de l’aéroport ou un métro. Ni l’un ni l’autre n’a une portée régionale ou un dossier assez mature pour passer la barre du financement de la confédération, mais ce sont de merveilleuses distractions. Genève a une longue tradition du beau projet qui divise, ne se réalise jamais, mais laisse des conséquences bizarres, que ce soit le tunnel de base de la Faucille, qui a donné la ligne Nyon-Gex, le port ferroviaire de la Praille, qui a donné l’emplacement de la gare de triage, ou l’ambitieux projet de nouvelle gare au bord du lac, qui a eu comme conséquence le maintien de la gare à Cornavin, trop en hauteur pour permettre un passage sous la rade pour rejoindre les Eaux-Vives…

Le second problème typiquement genevois est lié à la région qui est largement vide. Un argument avancé en faveur de la boucle de l’aéroport est la comparaison avec la gare de l’aéroport de Zürich, qui est traversante. La grosse différence, c’est que la ligne continue après l’aéroport en direction de Winterthur, ou elle se divise pour partir vers différentes destinations, Schaffhouse, Singen, Constance, Romanshorn et Saint-Gall. Après la gare de l’aéroport de Genève, on peut continuer vers Ferney-Voltaire, éventuellement Gex, et puis c’est fini. L’autre option est faire la boucle et revenir sur Lausanne.

Il y a fondamentalement 4 axes de communication à partir de Genève, la vallée du Rhône, la vallée de l’Arve, et les deux berges du Léman. Du fait de la configuration de la rive sud au niveau d’Yvoire, une ligne qui longe le lac n’a que peu d’intérêt, le trajet est plus long que par la ligne actuelle, et s’il y a quelques agglomérations jusqu’à Hermance, au delà, c’est très maigre. Le flanc nord-ouest du Jura est particulièrement vide : il y a une gare à Saint-Claude, mais la ligne jusqu’à Oyonnax ne voit plus de traffic passager depuis 2017. On parle d’une commune qui est passé de 10’690 habitants en 2011 à 8’895 en 2020. Une possibilité de nouvel axe serait de rejoindre Annecy plus directement, par exemple en suivant le tracé de l’autoroute A41, un projet ambitieux qui n’intéresse pas la région.

Quelque soit l’option choisie au départ de Genève, la voie nouvelle se connectera fatalement à une ligne existante (abandonnée ou non), et rejoindra une gare qui est déjà desservie : Bellegarde à l’ouest, Annemasse au sud-est, Nyon au nord-est.

À mon humble avis, Genève devrait se concentrer sur la seconde ligne Genève-Morges, par exemple en commençant le premier segment entre l’Aéroport et Nyon. Cela permettrait d’avoir un projet qui ne concerne pas que Genève, mais en Suisse, et de prendre de l’avance sur un chantier qui sera de toute manière nécessaire, de fermer la boucle de l’aéroport, et de desservir les villes de l’Ain proche de la frontière comme Ferney-Voltaire ou Divonne-les-Bains.

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