Jouer à Rêve de Dragon…

La Reine Fa-Shion

Une question que je vois repasser régulièrement sur les forums est comment on joue à Rêve de Dragon. Si j’ai publié pas mal de matériel pour ce jeu, j’essaye dans ce billet de faire un synthèse de mon idée sur la question.

Il y a la question des règles, évidemment, mais c’est un sujet que je vais à laisser à d’autres, il y a des règles simplifiées (Oniros) que je ne connais pas bien, différents systèmes de remplacement ont été proposés. Les seuls conseils que je pourrais donner dans ce domaine sont plutôt vagues : se concentrer sur le cœur des règles, réserver les personnages haut-rêvantes aux joueuses expérimentées et éviter les combats statiques où les points d’endurances descendent peu à peu, car c’est ennuyeux.

Ce qui est plus intéressant pour moi, c’est l’univers, l’ambiance, parce que le jeu Rêve de Dragon a un univers et surtout un style assez particulier. Évidemment, ce que je présente ici est ma vision du jeu, qui ne repose sur aucune autorité particulière.

À l’origine…

À sa sortie, Rêve de Dragon était un jeu un peu étrange : en 1985, la plupart des jeux français essayaient de se démarquer de Dungeon & Dragons (D&D) avec des thèmes différents comme la science-fiction (Empire Galactique, Mega), l’horreur (Maléfices) ou bien des ambitions historiques (Légendes). Rêve de Dragon avait clairement le même thème médiéval fantastique que D&D, et s’en démarquait de manière beaucoup plus subtile, d’abord en jouant avec la langue, mais aussi grâce à un univers très meta.

Rêve de Dragon n’a pas d’orques ou de goblins, mais des grouins et des chafouins, le jeu assume pleinement le fait qu’il est écrit en français, et vit à l’ombre d’un jeu en anglais, on retrouve régulièrement des jeux de mots qui chevauchent les langues, le quilleurbist est une créature. L’univers est entièrement structuré pour expliquer les idiosyncrasies d’un monde de jeu de rôle, des déchirures pour expliquer les transitions abruptes dans la narration, le gris rêve pour expliquer les débuts de scénario in media res et la composition changeante du groupe, la réincarnation pour expliquer les personnages récurrents, et les rêves souvenirs pour expliquer pourquoi un combat permet à un personnage de progresser en botanique. En fin de compte, les dragons sont les joueurs et joueuses, et le rêve est la partie…

Comme Mega, pour lequel Denis Gerfaud avait écrit un magnifique scénario, Rêve de Dragon est en fait un multivers, qui permettrait en théorie de jouer n’importe quel médiéval fantastique, avec des styles très différents entre les mondes. Le paradoxe c’est que ce n’est pas une direction que les scénarios officiels ont exploité, au fil des parutions, un univers Rêve de Dragon a pris forme, et la plupart des scénarios innofficiels (dont les miens) ont cherché à adopter ce style particulier.

Terre mourante

La première édition était à mon avis très influencée par le monde de La Terre mourante de Jack Vance, un monde de villes isolées qui vivent à l’ombre des ruines d’empires passés. Le personnage qui sert d’exemple s’appelle Artighel (un des héros de Jack Vance s’appelle Cugel) et les illustrations du livre de base de Bernard Verlhac (Tignous) dépeignent une série de plans foireux dénués de la sempiternelle pudeur anglo-saxonne. On voit Artighel, nu, frappé par un groin au pied d’un lit où se trouve une grouine qui semble s’être prise une gifle. Même si le jeu n’a jamais été particulièrement aguicheur, il y a du sexe et de la violence.

Les premiers scénarios officiels reprennent ces thème de la terre mourante, la ville datant d’un autre âge, obsédée par un sujet absurde, avec ses rituels bizarres. Il n’y a jamais de monstre à terrasser, mais il faut déjouer un plan foireux, souvent cruel. Il y a souvent un jeu de mot vaseux planqué à l’intérieur. À cause du raffinement décadent des cités, l’absence de moralisme religieux, j’ai toujours eu tendance à considérer Rêve de Dragon comme un jeu plus renaissance que médiéval.

Si les cités sont prépondérantes dans Rêve de Dragon, il n’y a ni royaume, ni empire, tout au plus des coins de rêves avec des titres ronflants. Les déchirures de rêve rendent futile tout cohésion politique, toute campagne militaire, à quoi bon partir à la conquête du monde si on n’est pas sûr de pouvoir revenir en arrière ? Bref, c’est un monde avec beaucoup d’opportunités de roleplay et peu d’action épiques, il y a très rarement de l’action avec beaucoup de participants.

Denis Gerfaud n’a pas repris de Jack Vance la logique des sandestins, des petits démons dont la maîtrise permet de faire de la magie. Mais la position des magiciens (haut-rêvants) dans l’univers est similaire, ils sont à la fois craints et honnis par la population, et peu intéressés par l’aventure. La pratique est complexe, requiert du temps, et est dangereuse, même si l’on ignore le problème des émeutiers et leur fourches, en effet le haut-rêve cause invariablement des folies (queue ou souffles de Dragon) qui sont autant de moteurs de scénarios absurdes.

En bref, les haut-rêvants sont surtout des antagonistes ou des moteurs de scénarios, leurs folies expliquant les plans les plus étranges. Un personnage haut-rêvant est quelque chose de délicat à gérer, et à laisser aux joueurs ou joueuses avancées.

Le Rêve

Si le thème de la terre mouvante était très présent dans les premier suppléments, Denis Gerfaud a publié dans les magazines des scénarios avec un ton beaucoup plus oniriquee : les rêves y jouent un rôle prépondérant, avec souvent des narrations imbriquées, des liens symboliques. Par exemple, dans un rêve, les personnages doivent sauver une femme qui porte le nom du bateau pris dans une tempête dans un autre rêve, et à bord duquel les personnages se trouvent. Dans ce monde, on ne va pas dire ce n’est qu’un rêve, on peut mourrir dans son sommeil…

Ces scénarios oniriques sont souvent plus courts, une étape du voyage, et un nombre limité d’intervenants. C’était mon format préféré, cette unité de temps et de lieu permettait en général de terminer le scénario en une session. Le rôle important des rêves, et la possibilité d’avoir des thèmes poétiques donne un gros contraste à un univers qui est largement cynique et décadent.

La dimension onirique offre à la gardienne de rêve beaucoup d’outils narratifs, flashbacks, boucle temporelles, histoire imbriquées, transitions accélérées, tout est possible et naturel dans cet univers. On n’est naturellement pas obligé de les utiliser, mais si on veut une narration non-linéaire, c’est possible. Le fait que la magie est définie comme une manipulation du rêve par le rêve donne un autre outil, vu qu’elle définit la notion de bug, une déchirure. En gros, si la magie résulte dans une incohérente du rêve, il est résulte une déchirure, de laquelle peut émerger n’importe quoi. C’est une bonne manière de gérer les haut-rêvants qui veulent expérimenter.

Les scénarios du Sacré Pinceau à Barbe et surtout l’Auberge des Dernier Voyageurs, présentent un autre niveau de l’univers, plus meta, en expliquant la structure de l’univers qui contient tous ces rêves, et les créatures capables de voyager entre ces rêves. Je suppose que cela permettrait des scénarios au niveau meta, mais cela ne s’est pas fait, c’est probablement une bonne chose. En attendant cela a donné aux fans du jeu de la matière pour des grosses discussions philosophiques.

Le Voyage

C’est le fil moteur du jeu. Le jeu n’a pas de classes, les personnages sont des voyageurs ou des voyageuses. Tout scénario, toute campagne, est avant tout un voyage, la découverte de nouveaux lieux, de nouvelles contrées. Il y a peu de chances qu’un personnage revienne à un lieu donné, et même si c’est le cas, il ne peut jamais être sûr d’être revenu exactement au même endroit, il s’agit peut-être d’une variante dans un autre rêve.

Cela influe la manière dont les personnages évoluent, progressent. Au niveau du matériel, le matériel doit rester léger. Une monture ou une armure lourde sont très mal-pratiques quand une déchirure de rêve peut vous mener à l’intérieur d’un bâtiment, dans un marais, sur un navire ou quelques mètres au dessus d’un gigantesque massif de ronces.

Au niveau social, gagner une réputation, ou même un titre de noblesse n’a aucune impact, vu que dans le prochain rêve, ils auront disparu. Par définition, le niveau social se définit par l’apparence, quand on vient d’un autre rêve, seule l’apparence et le comportement définissent la noblesse. Peut-être que les gens ont entendu parler de la ville dont vous venez, peut-être que dans ce rêve, c’est une nécropole hantée par les pires abominations.

La seule exception à ce principe général du voyage était le monde de l’Unirêve, un univers avec plusieurs rêves connectés de manière stable. Je n’ai pas réellement compris l’intérêt, et je ne pense pas avoir été le seul. Cela dit, cela prouve que si la gardienne veut construire un tel monde, c’est parfaitement possible.

Une autre conséquence des multiples raccourcis narratifs, c’est que la logistique n’a pas de réelle importance, le jeu a des règles fort détaillées pour la sustenance, avec le prix pour les différent types de nourriture. Vu que le trajet entre les aventures n’est pas jouer, ni même clairement défini, on part en général de l’idée que les personnages ont réussi à se nourrir, que leur finances ont été ajustées en conséquence.

Dans mon groupe, les joueurs et joueuses s’étaient habitué à l’idée que les pièces étaient quelque chose de transient de même qu’une partie de leur équipement, si l’aventure commençait dans un endroit froid, les personnages avaient les vêtements idoines – à moins que la recherche de vêtements chauds soit le thème du scénario. Cela implique une relation un peu différente entre la gardienne, les joueurs et le matériel des personnages, et il faut souvent un peu de temps pour que les joueurs et joueuses s’y habituent, mais cela vaut à mon avis la peine, la gestion d’inventaire est une histoire assez ennuyeuse.

En Bref

Rêve de Dragon offre des moyens pour jouer une grande variété d’histoires, paradoxalement, le jeu se prête mal au médiéval fantastique avec ses thèmes classiques, l’affrontement entre les forces du bien et du mal, la quête du trésor. D’abord parce que le moteur de scénario le plus classique de Rêve de Dragon est la quête du rêve souvenir, pas de pièces d’or, ensuite parce que le médiéval classique est toujours là, en contre-point, par les allusions, les jeu de mots lamentables ou les scénarios qui jouent avec les clichés du genre.

Reine Fa-Shion © Fiorella Annoni.

3 thoughts on “Jouer à Rêve de Dragon…”

Leave a Reply

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.