
Après avoir lu le billet d’Alias à propos du livre Le français est à nous ! de Maria Candea et Laélia Véron, et je me lui suis commandé. J’ai toujours eu une relation compliquée avec la langue française, et ce livre semblait être une bonne continuation aux films de Linguisticae que j’avais mentionné dans un billet surl’Académie Française. Le sous-titre guide d’émancipation linguistique m’a bien plu et la critique d’Alias semblait bonne.
L’édition que j’ai est un petit format, avec 200 pages de texte. Premier problème pour moi, la mise en page. Chaque début de chapitre comporte un encadré avec un résumé dans une fonte plus petite. Généralement le corps de texte ne semble pas imprimé en 100% de noir ce qui rend la lecture difficile. Je sais que c’est la mode, mais cela nuit à la lecture sur les écrans et sur le papier.
En cours de texte, il y a d’autres encarts avec une fonte plus petite, mais là où le résumé de chapitre passe au moins à une fonte sans empattements, les encarts gardent la police à empattements, qui, a cette taille, n’aident réellement pas à la lecture.
Une des rares illustrations, un extrait de Molière en page 23 qui compare la graphie de l’époque avec sa retranscription est tout simplement illisible. Après un accident de tasse de thé, j’ai réalisé que mon édition est imprimé à jet d’encre. Ceci explique cela.
Le titre Qu’est-ce que la Langue semblait présager d’une entrée en matière académique, mais on entre très vite dans le débat : défense de la langue, et un premier mythe, celui des Serments de Strasbourg, dont je n’ai jamais entendu parler durant ma scolarité, mais qui semble avoir fait du bruit relativement récemment. Différents autres débats introduisent différentes autres notions, étymologie, niveaux de langage, etc.
Petit manuel d’émancipation linguistique
Maria Candea & Laélia Véron
Éditions la découverte
ISBN : 978-2-348-06990-1
Malheureusement, j’ai trouvé que dès qu’une notion s’éloigne du débat, elle est négligée. La notion de diglossie est abordée, mais c’est principalement pour dire que le phénomène existe avec l’arabe classique, et n’existe pas en France. Le texte explique que les emprunts de vocabulaires et l’influence de l’anglais n’ont pas changé la structure grammaticale du français, mais l’anglais a une structure grammaticale similaire au français, et on vient de m’expliquer que les Serments de Strasbourg sont plus du très mauvais latin que du français. Or, le latin a une grammaire avec des cas, et le français n’en a plus que vaguement au niveau des pronoms, les grammaires changent, si la langue dominante devient le chinois, il se passerait quoi ? Clairement, cette question n’a pas fait l’objet d’un article dans le Figaro.
Un terme qui était nouveau pour moi était l’insécurité linguistique, le fait de craindre de faire des fautes, et qui assoit toute la hiérarchie sociale basée sur la maîtrise de la langue, réelle ou imaginée. C’est un aspect très important de la culture française, et il m’a fallu bien des années pour réaliser que c’est surtout une immense comédie, qu’un poète peut se permettre tous les écarts, mais que ces mêmes écarts seront reprochés à quelqu’un qui n’est pas natif. Ce dont le petit manuel d’émancipation ne parle pas, c’est des langues où ce phénomène n’existe pas, où il est moins prononcé. C’est bête – car c’est une des raisons pour laquelle mon retour en suisse alémanique a été une bouffée d’air frais.
Le chapitre 6 parle de la langue française comme outil de colonisation, de la tension entre la langue comme moteur de colonisation, mais aussi comme moteur d’intégration et d’ascension sociale qu’il convient de freiner, ce qui donne naissance à un langage petit nègre inventé pour gérer cette tension. Est-ce une particularité française, ou est-ce que d’autres nations européennes ont fait la même chose ? On n’en parlera pas. Le livre parle beaucoup de la langue comme vecteur de domination, et de hiérarchie sociale. Au Québec, en Suisse et en Belgique, les francophones sont en minorité et ne dominent pas la vie politique ou économie, est-ce que cela a un impact sur la langue ? On n’en parlera pas.
Le chapitre 7 parle de l’organisation internationale de la francophonie (OIF), le fait qu’il s’agit avant tout d’un machin politique dans lequel la linguistique a rôle très mineur n’était pas une surprise, mais je dois avouer que le fait que la Quatar est membre était une nouveauté pour moi. Ce chapitre est un peu différent des autres, car jusqu’à présent, les différentes institutions présentées (Académie, Alliance française, éducation coloniale) avaient eu un impact linguistique, alors que là, cela ne semble pas être le cas, c’est juste un prétexte. D’autres nations ont des projets linguistiques, la Hongrie dans les Balkans, la Russie. On aurait pu faire des parallèles, des comparaisons. On aurait pu…
Le chapitre 8 parle du génie français, une expression qui pour moi est indissociable du génie des alpages de feu Fnurr. On parle donc des salons de l’ancien régime, de Madame de Staël, et du fait que la langue française unifiée était surtout un outil politique et de stratification sociale. Le français est une langue spéciale, universelle et meilleure. Ce chapitre a été le moment où j’ai été exaspéré par ce livre. Les auteures expliquent que la culture française a un problème d’exceptionalisme, d’opposition à l’étranger, et c’est expliqué dans un livre qui évite toute mention de l’étranger, toute mise en contexte internationale, tout au plus reconnait-on l’existence des anglo-saxons : selon une hypothèse formulée par des sociologistes anglophones comme francophones, on dirait la vision musicale des Blues Brothers.
Les chapitres suivants parlent de l’enseignement au fil des siècles, pour arriver à la conclusion qui ne surprendra personne : la grammaire et l’orthographe se sont stratifiées au XIXe siècle, et une énergie démentielle est dépensée pour enseigner un corpus de règles absurdes, avec une alternative en apparence simple : simplifier la règle ou enseigner plus. À mon avis, les auteures n’envisagent pas une troisième option, malgré un chapitre 11 qui parle des révolutions numériques.
L’Asie est très peu mentionnée dans le livre, comme dans le slogan de l’OIF, Lâchons l’Asie, prenons l’Afrique…. C’est dommage, car le Japon a une caractéristique intéressante : un système de langue encore plus biscornu que le français. En particulier, le système d’écriture basée sur le système chinois (Kanji) est terriblement complexe, le 常用漢字, considéré comme le jeu de base pour lire, en comporte plus de 2000. Il en faut plus pour lire les noms de famille obscurs, les nom de produits chinois importés. En même temps, la société japonaise est très stratifiée, les examens scolaires et la maîtrise de la langue sont d’important éléments de discrimination. Ça devrait sembler familier.
Un clavier japonais ne comporte naturellement pas 2000 touches, l’écriture se fait de manière indirecte, on écrit de manière phonétique, voire télégraphique, et l’ordinateur suggère les caractères. C’est littéralement une forme d’écriture assistée par ordinateur. Un système similaire existe sur les téléphones. Déjà à l’époque où j’y habitais (2005-2006), la majorité des gens utilisaient systématiquement leur téléphone pour retrouver des kanji, et la blague courante était qu’un japonais sans téléphone ne pouvait pas écrire.
Le chapitre 11 du livre parle de la révolution numérique, notamment de la traduction automatique qui s’améliore sans cesse. La même technologie peut-être utilisée entre les niveaux de langages. La dictée de Bernard Pivot est un jeu réservé aux élites, comme l’étaient les échecs, aujourd’hui c’est une discipline dominée par les algorithmes. Si le français classique avec ses règles baroques continue à exister, et qu’il continuera à jouer un rôle de déterminant social, il sera de l’intérêt de tout à chacun de tricher et d’utiliser un algorithme pour traduire qui son livre, qui sa lettre de motivation en français parfait.
Vu la technologie disponible en 2023, un tel traducteur ne pose pas de réel problème technique et pourrait probablement être embarqué dans chaque téléphone. Cet artifice pourrait permettre de maintenir les apparences et statu quo pendant encore quelques années.
Pour en revenir au livre, la conclusion revient sur la diversité, qui est très belle, mais on ne va pas mentionner les variation en dehors de la France, quand-même. Le rôle du français comme langue de communication est mentionné. On le retrouve dans le glossaire dans la catégorie des langues super-centrales, des langues dont le rayonnement est très important, mais plus localisé [que l’anglais] aux côtés de l’espagnol, de l’arabe, de l’hindi (très commun en Inde, mais dont le rayonnement se limite au Népal et à l’île Maurice), mais pas le chinois mandarin, qui pourtant a une influence dans toute l’Asie du sud-est et est accessoirement la langue la plus parlée au monde…
Le truc, c’est qu’à l’échelle mondiale, avec 65 millions d’habitants, la France n’est pas un grand pays. Si on agglutine toutes les personnes dont la langue maternelle est le français, on arrive à peu près à 100 millions. Le japon à 125 millions d’habitants, les gens dont la langue maternelle est l’allemand se monte à 130 millions. De ce que j’ai vécu, les français aiment bien l’idée de la francophonie, tant que la hiérarchie est respectée, Paris et la France au milieu, et le mépris qui s’impose pour les autres, ils ne sont là que pour gonfler les nombres. Ce n’est que mon impression, mais ce n’est pas ce livre qui l’a changée. En attendant, toute la partie est de l’Europe apprend l’allemand…
J’ai trouvé ce livre très franco-français. Cela ne veut pas dire que le texte soit mauvais, ou inexact, ou que ne sois pas d’accord avec ses positions – la discussion sur les genre m’a parue tout à fait à propos – mais je me serais attendu à quelque chose de moins étriqué d’un ouvrage qui porte le sous-titre de petit manuel d’émancipation linguistique. La grosse ironie, c’est que de mon point de vue, le texte reproduit en mineur, les maux reprochés aux articles du Figaro : on dénonce la vénération des conversations de salon, mais le livre est structuré en bonne part en réponse à des articles de journaux, le français est dénoncé comme mécanisme nationaliste qui met en exergue la nation et l’étranger, mauvais par essence, en même temps, l’étranger n’est que très rarement évoqué dans le livre et jamais pour comparer. On vante la diversité par rapport au dogme, mais on parle un minimum des variation hors de la France.
En conclusion, un livre qui m’a appris quelque trucs, mais ne m’a rien fait découvrir.
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