Ligne du Tonkin

Gare désaffectée de Meillerie sur la ligne du Tonkin

Quand j’étais gamin, nous allions en vacances de ski en Valais. Lorsque l’on habite sur la rive sud du lac Léman, la route la plus courte, pas obligatoirement la plus rapide, consiste à passer par le Chablais français pour rejoindre le Valais à Saint-Gingolph. À partir de Thonon, la route longe le lac, et on pouvais deviner une voie de chemin de fer, la ligne du Tonkin.

La ligne du Tonkin reliait Evian à Saint-Maurice en Valais. Lors de nos voyages vers le Valais, je n’y ai jamais vu de train, ce qui n’était pas réellement étonnant, entre Evian et la frontière, le traffic se résumait à un train touristique, le Rive-Bleue Express, qui fut supprimé en 1998, lorsque la section française fut définitivement mise hors service. La section suisse, de Saint-Gingolph jusqu’à Saint-Maurice, qui avait été électrifiée en 1954 est restée active.

Le succès du Léman Express a remis à l’ordre du jour la remise en service de la section française, avec différents avantages potentiels : report vers ler rail d’une partie du flot de frontaliers, une liaison plus courte entre Genève et le Valais, redondance pour la ligne sur la rive nord, offrant une alternative en cas de problème, comme c’est arrivé à Tolochenaz. Ces avantages sont souvent discuté pêle-mêle, avec l’hypothèse que cette ligne pourrait être intégrée au Léman Express, et que cette ligne est comme le CEVA.

Ce billet est une tentative de ma part de démêler l’écheveau, il n’a aucun vocation particulière, si ce n’est de mettre mes idées au clair après différentes discussion sur des forums. Je ne m’attendais pas ce qu’il devienne si long, clairement il y avait beaucoup à démêler.

La Ligne

Inaugurée en 1886, elle relie la gare des Eaux-Vives, à Genève, à Saint-Maurice, en Valais, en passant par Annemasse, Thonon, Evian, Saint-Gingolph, le Bouveret et Monthey. Au moment de l’inauguration, elle est exploitée du côté Français et à Genève par la société PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) et du côté Suisse par la Compagnie de la Suisse occidentale et du Simplon.

La ligne est à voie unique et comporte deux tunnels, celui des Croisettes (218 m) et celui de Meillerie (806 m) ainsi que trois viaducs, celui de Locum, celui du Trélon et celui de la Morge. La voie comporte en outre plusieurs pont routiers et passages à niveau. Comme la voie longe les berges du lac Léman, le tracé est sinueux.

26 Ans après l’annexion de la Savoie par la France, une ligne vers le futur tunnel du Simplon et l’Italie semblait probablement logique, mais elle ne correspondait pas à la logique centralisée de la France et le traffic voyageur cessera en 1938, lorsque la ligne est reprise par la SNCF nouvellement fondée.

La ligne connut son heure de gloire durant la seconde guerre mondiale, était le seul lien ferroviaire entre la Suisse et la France non-occupée. En 1945 et 1946, des trains spéciaux de la Croix-Rouge reliaient Saint-Maurice vers Avignon et Sète, transportant des anciens prisonniers et des vivres.

La section Suisse fut électrifiée en 1954. La section française n’était plus utilisée que pour le traffic marchandise, qui cesse en 1988. Ne reste plus que le train touristique Rive-Bleue Express. Le segment Evian – Saint-Gingolphe sera neutralisé en 1998.

La partie Suisse est exploitée par la compagnie RegionAlps, propriété des CFF, mais aussi des Transports de Martigny et Régions et le canton du Valais, avec un train par heure.

RER ou Train Régional ?

Il est facile de comparer la ligne du Tonkin à la liaison entre Annemasse et Cornavin : un maillon manquant dans un réseau de transport régional. Les deux ne sont toutefois pas comparables : le CEVA (Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse) connecte la seconde ville de Suisse, avec une population de 200’000 habitants avec la plus grande localité dans sa banlieue, avec une population de 35’000 habitants.

Le Tonkin connecterait Evian (9000 habitants) à Monthey (16’000 habitants), situé à 40 km. Le tissus urbain est continu entre Genève et Annemasse, la rive du lac entre Evian et le Bouveret est largement vide, avec de petits villages et personne ne considère Evian comme une banlieue de Monthey.

De fait, Evian est plus proche de Montreux (24’000 habitants) et de Vevey (17’000 habitants), mais la ligne du Tonkin ne se connecte à celle de la rive nord du lac qu’à Saint-Maurice. Il faudrait une connection à Villeneuve – un autre projet.

Bref, dans le cas du CEVA on a une liaison urbaine de type RER/S-Bahn, le Tonkin serait plutôt un train régional qui relie deux régions. Un report du traffic frontaliers de la route vers le rail serait donc conditionné par les transports publics du côté Suisse.

Une alternative pour la liaison Genève – Saint-Maurice ?

La liaison Genève – Saint-Maurice est assurée par l’IR90, qui une fois par heure fait la liaison directe en 81′. Est-ce qu’un trajet par le sud, plus court, serait plus rapide ? La ligne L1 du Léman-Express fait le trajet Genève-Evian en 67′. Le trajet de Saint-Gingolphe jusqu’à Saint-Maurice prend 31′. Si on assume un temps de trajet de 15′ pour Evian – Saint-Gingolphe (par la route c’est 20′), on a un temps de trajet total de 113′, une demi-heure de plus.

À titre de comparaison, un IR90 sur deux ne s’arrête pas à Saint-Maurice, il faut donc sortir à Martigny et revenir en arrière avec l’IR90 en sens inverse, dans ce cas, le temps de trajet de 117′.

L’itinéraire par le sud est peut-être plus court, mais il emprunte des voies avec une vitesse maximale de 115 Km/h. La voie de Perrignier à Evian est limitée à 100 Km/h. Au nord du Lac, de Versoix jusqu’à Morges, la voie est à 160 Km/h. Dans la vallée du Rhône, la voie sur la rive droite est à 140 Km/h, celle sur la rive gauche 115 Km/h. Le tronçon entre Saint-Gingolph et le Bouveret quand à lui est limité à 80 Km/h.

La partie française du Léman Express s’est fait avec un minimum de travaux en dehors de la gare d’Annemasse, la voie entre Annemasse et Evian a été refaite en 1997 avec des traverses en béton, et passée en BAL (Bloc Automatique Lumineux), il n’en reste pas moins que la ligne est limitée à 115 Km/h, et il est probablement difficile de faire mieux avec le tracé actuel. Du côté Suisse, les améliorations se sont concentrées sur la rive droite du Rhône, sur la voie qui va à Lausanne.

Pour que le trajet par le sud soit intéressant, il faudrait réduire le temps de trajet d’au moins 15′, un train déphasé de 30′ par rapport au trajet par le nord deviendrait utilisable : plutôt que d’attendre 30′, prendre un train et arriver 15′ avant le train suivant par le nord.

Bref, la liaison par le sud peut-être intéressante, mais il faudrait des investissements sérieux pour améliorer la voie entre Annemasse et Thonon, mais aussi entre Saint-Gingolph et le Bouveret.

Traffic Marchandise

Si les circulations de train de voyageurs ont cessé en 1938, le traffic marchandise a perduré presqu’un demi-siècle, ne pourrait on pas utiliser le voie pour cela ? La voie d’Evian à Annemasse a largement du sa survie aux circulations de train chargés d’eau minérale et avoir une ligne qui connecte la Haute-Savoie au tunnel du Simplon, et de là l’Italie, aurait un sens. Plusieurs problèmes s’y opposent.

Le premier sont les éternels NIMBYs, les riverains, qui préfèrent probablement une voie verte, idéalement sans cyclistes, à une voie de chemin de fer active. S’il y a une chose qui dérange plus qu’un train de voyageur, c’est un train de marchandises et les collectivités locales se sont largement opposées à ce genre de trafic. Les camions qui roulent sur le D1005 font probablement bien plus de nuisances, mais voilà, la convention internationale nécessaire à ce genre de ligne transfrontalière exclut pour l’instant le traffic marchandise.

Le second problème tient à la nature de la ligne, qui est à voie unique depuis Annemasse, ce qui limite le nombre de circulations. Le problème peut-être contourné avec des voies d’évitement, qui existent déjà entre Annemasse et Evian. La ligne dispose encore d’une certaine capacité, 4 trains par heure. La question des évitements entre Evian et Saint-Gigolph est encore en discussion,

Le troisième problème, c’est qu’entre Evian et Thonon, il y a une rampe : la gare de Perrignier est à 530 m, celle de Thonon à 432 m, entre les deux, il y a une pente de 18‰, rien de dramatique, mais, selon la nature des trains, cela demande une seconde locomotive. D’une manière plus générale, l’aménagement de la voie pour le traffic marchandise serait plus lourd et donc plus couteux.

Enfin, la France est en train de construire la Transalpine entre Turin et Lyon, et donc investir dans un axe ferroviaire pour rejoindre l’Italie à travers un tunnel Suisse n’est pas une priorité. C’est à mon avis une erreur, car si l’on prend l’exemple du tunnel de base du Gotthard, il a été saturé assez rapidement et si les objectifs climatiques doivent être atteint, il faudra de la capacité.

En résumé, le traffic marchandise n’est pas à l’ordre du jour, c’est dommage, car les différentes carrières le long du lac gagneraient à être desservies par le rail.

Technique et Frontière

Contrairement au CEVA, il y a une voie existante entre Evian et Saint-Gingolph, elle est juste abandonnée. Le problème, c’est qu’on parle d’une infrastructure qui date du début du siècle dernier, qui a été à l’abandon pendant près d’une quart de siècle.

Des initiatives ont été prises pour couper régulièrement la végétation, ce qui a limité les dégâts, mais il n’en reste pas moins qu’il faudra réviser les ouvrages d’art (tunnels, viaducs), refaire la voie, l’équiper de signalisation moderne, et l’électrifier.

Ce qui amène la question des standards techniques, qui sont différents de part et d’autre de la frontière. Pour simplifier, les trains suisses utilisent du courant alternatif à 15 kV avec une fréquence de 16.7 Hz, là où les trains français utilisent soit du 25 kV avec une fréquence de 50 Hz ou du courant continu à 1.5 kV. La ligne d’Annemasse jusqu’à Evian est en 25 kV.

Un problème similaire existe avec la signalisation, la Suisse utilise principalement le système Européen ETCS, là où la France utilise largement le système KVB. Les systèmes de communication au passagers (horaires) sont naturellement aussi différents. Il est possible d’avoir des trains capables de gérer des systèmes multiples – c’est le cas des véhicules du Léman Express, mais ils sont plus complexes et plus couteux.

Un autre problème technique existe au niveaux des tunnels, construits au XIXe siècle, et qui correspondent probablement au gabarit passepartout (PPI). Les trains à double étages ont typiquement besoin d’un gabarit plus large, GA pour la France, GB pour la Suisse. Le problème pourrait être résolu comme il l’a été sur la ligne des Carpates, en abaissant le radier, c’est à dire en creusant la base du tunnel pour descendre la voie, évidemment cela engendrerait des couts supplémentaires.

La solution proposée en 2011 était d’équiper le tronçon entre Saint-Gingolph et Evian selon les normes suisses. L’avantage est que cela permet de tirer la ligne qui s’arrête aujourd’hui à Saint-Gingolph de continuer jusqu’à Evian, cela permettrait d’utiliser le matériel actuel (des rames RBDe 560 Domino, qui stationneraient sur un quai aux normes Suisses.

Ce genre d’enclave est assez commun, la gare Cornavin à deux quais Français (à une époque il fallait passer la douane pour les atteindre), la gare d’Annemasse a deux quais Suisses. La gare de Bâle comporte une partie SNCF, avec quatre voies.

D’autre options seraient possible, par exemple d’avoir une ligne au système français jusqu’à Saint-Gingolph, mais cela impliquerait soit du matériel bi-standard sur la ligne, soit d’avoir un changement de train, ce qui rallongerait le temps de parcours. Si les principaux utilisateurs sont des frontaliers qui font le trajet 250 fois par an, 5 minutes de plus par trajet à cause d’un changement revient à 2500 minutes par an, soit 41 heures de perdues… Dans tous les cas, ce genre d’arrangements dépendent beaucoup de la diplomatie entre pays .

Redondance pour Genève-Lausanne?

L’incident de Tolochenaz a montré que s’il y a un problème entre Renens et Genève, il n’y a pas de plan B. Est-ce que la ligne du Tonkin serait une possibilitéé ?

N’en déplaise aux Genevois et aux Lausannois, mais le Léman ne se résume pas à la côte entre les deux villes. Il y a environ 60 Km de Renens à Genève, le pourtour du lac est environ le triple. À cela s’ajoute le fait qu’il manque une connection entre Villeneuve et le Bouveret, donc si on voulait faire passer un train de Lausanne à Genève via le sud, il faudrait d’abord l’envoyer à Saint-Maurice pour rejoindre la ligne du Tonkin.

Une fois là, se poseraient les problèmes techniques, l’alimentation électrique et la signalisation incompatible, et les tunnels trop petits pour les trains à double étage. Même si on considère un train capable de gérer les différentes tensions, comme les rames du Léman Express, les TGV POS ou les Giruno ( RABe 501) il resterait le problème de la capacité : utiliser une voie unique comme redondance pour une voie double, plus rapide et plus courte, à la limite de la saturation, ça ne marche pas. Le même problème se poserait si on transbordait simplement les passagers, sans parler du fait qu’organiser un service de bus sur les quelques kilomètres est probablement plus simple et plus rapide que de demander à la SNCF des trains supplémentaires.

Conclusion : une seconde voie Morges – Genève plus au nord est une solution plus pratique pour tolérer des défaillances sur la ligne du nord du lac, avec l’avantage d’un gain de capacité là où il y en a un gros besoin. Cela ne veut pas dire que la capacité sur la rive sud ne devrait pas être augmentée, mais elle devrait l’être pour les besoins locaux, notamment entre Annemasse et Evian.

Conclusions

La remise en service de la ligne du Tonkin est un projet bien plus modeste que le CEVA, dans ses ambitions, mais aussi dans les coûts, pas de tunnel en milieu urbain, pas de gare souterraines conçues par Jean Nouvel, juste une voie en surface dans un tracé existant. Si la solution de la tension suisse jusqu’à Evian, la nouvelle ligne demandera peu ou pas de matériel nouveau, les CFF ont probablement des rames Domino qui traînent dans coin…

Le but premier devraient être le traffic local : les frontaliers, mais aussi le tourisme. Car si la ligne sud ne sera pas immédiatement intéressante pour la liaison Genève – Saint-Maurice, elle rendrait Port-Valais et ses attractions accessibles depuis Evian. Et atteindre Aquaparc en une heure et demie depuis Genève (contre presque 2 heures et demie actuellement) c’est déjà très bien.

La ligne deviendrait intéressante à l’échelle régionale si elle mieux intégrée: à l’est avec une connection entre le Bouveret et Villeneuve à l’ouest avec une augmentation de la capacité et de la vitesse entre Annemasse et Evian. Ces améliorations peuvent être construites graduellement.

3 thoughts on “Ligne du Tonkin”

  1. J’ai quelques souvenirs de trains qui circulaient sur cette ligne, quand j’étais môme. Quand on allait chez ma grand-mère, à Monthey, on passait systématiquement par le sud du Léman (mon père détestait les autoroutres).

    Bon, il me semble aussi que, depuis le temps, il y a des bouts de la voie qui manquent avec des villas qui ont poussé dessus.

  2. La voie est techniquement toujours propriété de la SNCF. Si la ligne n’est plus active, elle n’est pas abandonnée, et toute construction serait illégale. Comme l’emprise a été entretenue par des volontaires, une telle construction aurait été remarquée.

    La situation est très différente sur le tracé de la ligne du pied du Jura, qui est officiellement abandonné depuis longtemps. Des parties ont été transformée en «piste cyclable» (en terre battue qui se change en boue en cas de pluie, faut pas gâcher non plus) et ou des bâtiments ont été construit très près de l’emprise, ce qui empêcherait une simple réactivation.

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