À propos des points de destin…

Goldorak devant la terre

Après toutes ces années de jeu de rôle, j’ai une confession à faire : en tant que maître de jeu, je n’ai jamais réellement réussi à bien faire fonctionner les points de destin. Depuis les années 80, une variété de jeux ont eu un système où les personnages peuvent dépenser une resource pour influencer le scénario, points de chance, , pools de points, etc. Je ne peux pas dire que ces systèmes ne fonctionnaient absolument pas, simplement qu’il m’a souvent fallu pousser et suggérer beaucoup, et la dynamique ne m’a jamais plu : il y a quelque chose de paradoxal à avoir un MJ qui suggère aux joueurs d’influencer son travail.

Une chose que j’ai observé, c’est que ces systèmes semblent rencontrer beaucoup moins d’enthousiasme chez ceux qui ne maîtrisent pas, joueurs et joueuses pures. Ce qui est assez logique, une personne qui ne veut pas faire MJ voudra moins se substituer aux MJ dans une partie. Mais je pense que le problème est plus compliqué, à cause de ce que j’appelle le syndrome de Jayce et les Conquérants de la lumière.

Pour ceux qui ont échappé à cette œuvre majeure de l’animation télévisée des années 80, il s’agissait d’une collaboration franco-américano-canado-japonaise, qui mélangeait un peu tout : des voitures machines (une ligne de jouets), un vieux magicien, une elfe, un capitaine de vaisseau spatial louche, des plantes mutantes. Le héros possédait un médaillon aux pouvoirs par très bien définis qui étaient toujours utilisé comme deus ex-machina à la fin du scénario. L’idée du pouvoir ultime qui ne serait utilisé qu’au moment crucial du scénario n’était de loin pas unique, combien d’épisodes de Goldorak auraient été bien plus courts si Actarus se décidait à utiliser le combo astéro-hache + corno-fulgur d’entrée ?

De manière un peu moins caricaturale, l’idée de l’artefact qui change le cours de l’histoire est une idée puissante, qui se retrouve régulièrement dans les films d’action, ce qui a, à mon avis, une influence sur le jeu de rôle. Mon impression était que de nombreux joueurs se retrouvent avec une variante particulièrement mal définie de cet artefact, généralement pas matérialisée dans le jeu, et sentent qu’ils devraient l’utiliser au bon moment, d’un scénario qu’ils ne connaissent pas. Le résultat est que ces points sont souvent utilisés dans une forme de méta-jeu mécanique (min-maxing) ou bien de manière conservatrice (quand les joueurs sentent leur personnage menacés), ce qui correspond au canon culturel de toute manière.

En termes de jeu, le min-maxing et l’utilisation conservatrices se rejoignent : utiliser les points au moment où ils auront le plus d’impact, ce qui est veut dire soit une situation où les personnages ont foiré, soit le climax de fin, ce qui correspond exactement au canon narratif évoqué plus haut. Le résultat est assez problématique, vu que le système de points agit de factor comme condensateur narratif, un mécanisme qui stabilise la tension dans l’intrigue, ce qui n’est pas une recette pour une histoire. Sans guide clair, le canon narratif s’applique…

On me rétorquera que le but de ces points est typiquement d’augmenter la tension, en laissant les joueurs insérer des évènements dans le scénario, mais pour moi, les joueurs ont déjà un élément qui change l’histoire : leur personnage. Ajouter un méta-système pour ce faire ajoute beaucoup de complexité, d’abord en termes de jeu, mais aussi en terme narratifs (ne pas détruire le Golgoth durant l’introduction) et enfin sociaux. On donne des points à une joueuse lorsqu’elle joue un défaut de son personnage, et les points seront utilisés pour agir au niveau de l’histoire, domaine de la maîtresse de jeu.

Soit l’influence est mineure (un bonus par ci, une action supplémentaire par là), et on se demande pourquoi on s’emmerde avec ça, ou bien elle est significative, ce qui implique d’insérer un élément dans une histoire dont on n’a pas une vue d’ensemble, mais aussi de respecter toutes les règles qui régissent la direction de partie – intégrité des personnages, équité entre joueurs et joueuses – devraient être respectées par une joueuse. Si la joueuse ne peut ou ne veut pas jouer à ce jeu là, le système s’écroule. La question pour moi est : pourquoi est-ce que cette fonctionnalité n’est pas au niveau des roleplay, qui est le mécanisme pour agir sur l’histoire ?

Avec le recul, je me dis qu’en fait, on a un problème de diversité : les créateurs et créatrices de jeu sont avant tout des maîtres et maîtresses de jeu, et créent des systèmes qui leur plairont, adaptés à des joueurs et des joueuses qui dans leur tête font du méta-jeu, c’est à dire des MJs. Selection bias, tout ça…

3 thoughts on “À propos des points de destin…”

  1. C’est une vision du jeu qui évolue déjà depuis pas mal de temps: la notion de narration partagée est de plus en plus présente dans les jeux de rôles récents – même si je t’accorde que c’est surtout dans des “petits” jeux, pas des grosses machines genre Allitérations & Acronymes ou L’Appel du Truc Indicible.

    Par expérience, je sais aussi que c’est quelque chose auxquels les “nouveaux” joueurs, voire les néophytes – ceux qui n’ont pas encore développé des atavismes – sont plus sensibles.

  2. Un usage « éclairé » des outils d’altération de l’histoire provoque un souci : quid du meta-plot lorsqu’il est prévu quelque chose d’autre au départ ? J’adore les whimsy cards par contre la souplesse mentale nécessaire au mj pour accepter n’importe quel changement est … parfois problématique

    J’ai adoré la méthode FFG sur le dernier Star Wars: le dé jaune et le symbole critique qui permet au jouer d’influer les circonstances actuelles de façon narrative sans impacter le « plot »… bon ok j’aime pas Star Wars mais cest un autre discours… j’ai tellement aimé la mécanique qu’on y a joué 3-4 ans :)

  3. J’ai tendance à penser que le problème est aussi que soit les points de destin sont “courants” – auquel cas leur impact est nécessairement comparativement limité, ergo “pourquoi s’emmerder avec ça” et/ou “tiens il me reste 10 points à la fin de la partie j’ai oublié de les passer”, soit ils sont rares, et auquel cas “oui mais si j’en ai besoin plus taaaaard???” – et ce d’autant plus s’ils se reportent d’un scénar au suivant dans un setting de campagne ou assimilé.
    Bref, en tant que joueuse-non-MJ (et plus vraiment joueuse non plus, faut bien l’admettre), je sais pas les gérer non plus :P

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