J’ai grandi à Vésenaz, sur la rive sud du lac Léman. À moins de deux kilomètres se trouvaient des ruines médiévales, celles du Château de Rouëlbeau. Parfois nous enfourchions nos vélos et allions jouer parmi les murs recouverts de végétation. C’était un endroit mystérieux, on parlait d’un fantôme, d’une Dame Blanche, d’un tunnel secret jusqu’à la tour de Meinier. Mais, surtout, nous n’avions aucune idée de ce que château faisait là, caché dans un petit bois, perdu au milieu des champs.
C’était les années 80, il n’y avait pas de panneau informatif, pas d’internet. On apprenait avec des bon vieux livres, ou pas… À l’école, nous avons étudié l’histoire qui étaient censé expliquer les choses, mais le thème du cours ne s’est jamais rapproché de la région, et encore moins de ce château. De fait, d’après mon éducation, il ne s’est passé que deux choses à Genève : César a brulé le pont, et l’Escalade. Et la première information est dans les Astérix. Le reste du temps, l’Histoire se passait résolument ailleurs, dans un espace assez disjoint de la réalité. Mon éducation ayant été parachevée par une maturité au Collège Calvin, je suis passé à autre chose et j’ai oublié le château.
Entre temps, la zone alentours a été renaturée, que ce soit le ruisseau de Rouëlbeau, ou la Seymaz, en aval. Entre 2001 et 2014, il y a eu des fouilles sur le site ainsi qu’une remise en valeur, à présent il y a un site web, et un panneau informatif. La rivière et les marais revenus, l’emplacement semble plus logique.
Mais pourquoi ne nous a-t-on pas parlé de ce château ? C’eut été didactique, après tous nous avons été faire des pic-niques avec l’école dans ce ruines. L’endroit avait été classé monument historique en 1921, le premier du canton. Le château était la propriété de la famille de Faucigny, qui contrôlait, du XI au XVIᵉ siècle, une zone indépendante de Genève et de la Savoie. C’est cette famille qui a fondé la ville d’Hermance. Le château perdit en importance quand le Faucigny fut rattaché à la Savoie et le château endommagé durant un raid des Bernois.
Comme l’Arpitan, le Faucigny n’a jamais été évoqué durant mon parcours scolaire, simplement parce que cette entité se trouvait en dehors des narrations nationales. La région où j’ai grandit n’a été, historiquement, ni en Suisse, ni en France. Cette zone ne faisait pas partie du récit national, même si elle se trouve dans son orbite directe, ni du récit national culturel dominant (la France). Donc on n’en parlait pas.
Quelle importance ? Déjà, si on m’avait parlé des pillages bernois dans la région, j’aurais probablement prêté plus attention. Cela aurait aussi changé la relation avec le canton de Vaud – un bailliage bernois qui n’est devenu une entité à part qu’en 1803. Une similarité dans une région où l’on met en avant les différences.
Plus généralement, cela aurait aidé à comprendre les complexité de la région. Si on apprend que Genève a rejoint la Suisse sur le tard (1815), le fait est que la Savoie a rejoint la France bien plus tard (1860). À l’époque il a été question de rattacher le Chablais et le Faucigny à la Suisse, avec un vote plus ou moins démocratique, la plus grande farce jamais jouée dans l’histoire des nations. Dois-je mentionner que ce rattachement ne fut jamais discuté à l’école, mais je suppose qu’il n’avait pas d’importance historique…
Mur @ Château de Rouelbeau @ Meinier – Guilhem Vellut Creative Common Attribution 2.0 Générique (CC BY 2.0)