Se trouver au centre…

Masque sur des Feuilles Mortes

Je me suis toujours considéré comme une personne quelque peu en marge de la société – bilingue dans une société qui n’aime pas tellement cette idée, plutôt haut sur l’échelle d’Asperger, un geek, un rôliste à une époque où l’église y voyait une menace, ou tout du moins une cible facile. Le jour où les douaniers et les caissières de super-marché ont cessé de me contrôler au hasard, j’ai su que j’étais devenu vieux. Paradoxalement le Japon a été un endroit très rafraichissant pour moi, car j’étais un outsider, mais la raison était parfaitement évidente et explicite.

Lorsque la pandémie a commencé, je n’ai pas très bien compris pourquoi les gens s’excitaient autant sur les mesures d’hygiène. Se laver les mains, on était censé le faire avant, et porter un masque n’est pas agréable, soit, mais ça n’est pas dramatique non plus. J’ai du porter un masque à gaz à l’armée – durant des heures – c’est beaucoup moins agréable qu’un masque en papier ou en tissu, et bien plus étanche. Les excuses qui tout à coup apparaissaient sont totalement ridicules, surtout lorsqu’on a vécu au Japon, où le port du masque est très commun, sans parler des gens qui travaillent dans le domaine médical.

Récemment, j’ai été confronté à une femme qui refusait de porter un masque dans le tram. Elle avait été rappelée à l’ordre par un couple de retraités tout endimanchés pour aller au théâtre. La discussion a été – évidemment – stérile. La dame prétendait avoir une autorisation médicale, mais elle n’avait pas à la montrer, ni mentionner la mystérieuse condition qui l’affligeait. La conversation s’est terminée comme à l’école primaire, avec une adulte qui déclare, je n’écoute pas.

Le ton de cette femme m’était familier et que ce n’était pas la première fois que je remarquait que ce genre de gens refusaient de porter un masque. Il ne s’agissait pas d’adolescent rebelle, ou d’un clochard à moitié ivre. Au contraire, il s’agissait du genre de personnes qui roulent des yeux lorsque des jeunes ou des étrangers parlent fort dans les transport publics, qui font des grimaces très explicites et des commentaires si on monte à bord avec des vêtement militaires sales et tout son barda. La langue change, le ton de voix est toujours le même, celle des gens moyens qui ont la norme pour eux. Sauf que là, non.

Je ne suis certainement pas le premier à remarquer l’ironie de voir des affiches contre la division qu’apportent les mesures sanitaires, ou les lois sur l’environnement. Et ce, venant de partis qui n’avait jusqu’alors eu aucun problème avec la division. Le sujet n’est pas la division, mais qui est au centre, et qui est en marge, qui est le mouton blanc qui éjecte le mouton noir. On ne reproche pas vraiment à ces mesure de diviser la société, où d’être injustes, ou même infondées. On leur reproche d’exclure les mauvaises personnes, comme dans le sketch de Coluche, elle touchent les gens, normaux, blancs.

Les gens qui se contentent d’être dans la norme n’ont jamais eu à justifier leur comportement, à réfléchir sur telle ou telle règle, à se demander pourquoi ceci est accepté et cela non, la justesse des mécanismes, les objectifs de la société. Évidemment, lorsque les normes changent, que le centre se déplace, cela ne fonctionne plus. Alors il faut argumenter, mais la mécanique n’a pas servi depuis des années, le status quo n’est pas un argument, alors on invoque le bon sens, la raison, mais sans donner de raisonnement.

Et quand ça ne marche pas, on bricole un amalgame de déni, de croyances vagues et de conspirations. On prétend que ce sont des arguments, un raisonnement logique. Le but de ce machin n’est pas d’être logique, de partir d’observations et d’arriver à des conclusions, mais juste d’en avoir l’apparence, de prétendre qu’on a fait des recherches pour en fin de compte pouvoir justifier la règle des 3C (C’est Comme Ça).

Argumenter avec ces gens a exactement autant de sens que d’essayer d’améliorer la mécanique d’une œuvre de Jean Tinguely, une action dénuée de sens…

One thought on “Se trouver au centre…”

  1. Très bonne analyse.

    Je me demande souvent pourquoi tellement de gens sont si récalcitrants à changer leur vie quotidienne, même si légèrement.

    Comparant avec ma propre vie, j’en avais déduit que ma vie quotidienne, ma “normalité” a changé tellement de fois dans ma vie, que ce n’était qu’une fois de plus, peut-être la moins drastique. Mais pour certains, ils n’en ont jamais changé, c’était trop leur demander.

    Mais les questions de centre et de périphérie m’avaient effectivement échappées. Il n’est pas juste question de changer sa vie quotidienne, mais ce changement n’est pas décidé par le centre, et c’est là que le bât blesse pour certains.

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