Quelques mots pour Rêve de Dragon

Couverture Rêve de Dragon Première Édition Ⓒ Nouvelles Éditions Fantastiques

Mon billet sur comment jouer à Rêve de Dragon m’a remémoré à quel point ce jeu était un spécial avec son aspect franchouillard. Le monde du JdR des années 80 était dominé par des jeux anglo-saxons, avec comme seule exception l’Œil Noir qui venait d’Allemagne de l’Ouest, mais on n’en parlais pas. Les jeux français comme Hurlement, avaient des prétentions historiques, et étaient donc trop sérieux pour jouer avec la langue.

Rêve de Dragon utilisait un minimum de vocabulaire anglais, au lieu des Orcs et des Gobelins, on avait des Groins ou des Chaffouins. Lorsque un terme anglais est présent comme, le pays Dha-Paul, c’est évidemment pour une blague pourrie, vu qu’il n’y a aucune pomme dans ce royaume, et que la quête consistait à boire du cidre. Beaucoup de créatures, comme les Ziglutes avaient des noms qui sonnaient français.

C’est évidemment un aspect du jeu que j’ai cherché à reproduire. Une approche classique est le jeu de mot vaseux, et on peut toujours utiliser des adjectifs pour le nom des rivières, mais que faire lorsqu’il faut des mots, pour les créatures, les toponymes ? Denis Gerfaud a systématiquement utilisé les expressions (humeur chafouine, travailler pour des clopinettes), malheureusement ce gisement est épuisé.

La langue française n’encourage pas au néologisme, ni à aux mots composés : l’anglais (ou l’allemand) permettent de construire un nom comme Strongcastle / Starkburg, l’équivalent en français (Fort-bourg ? Fort-Castel ?) sonne très forcé et vaguement redondant (Fort-Fort, Château-Fort). Que faire ?

Le but n’est pas de faire médiéval, utiliser une ancienne orthographe ou des graphies paſſées. Le but est d’avoir des nouveaux mots, qui se fondent dans le texte. Un des premiers scénarios publiés dans le Fanzine, le Tinkle Bavard avait pour titre Le grand Pivier, pive est un helvétisme pour désigner une pomme de pin, techniquement pas un néologisme, mais pour de nombreux lecteurs un mot nouveau.

Les dialectes locaux offrent un corpus de termes qui sonnent français, tout en étant différents. Pour la Suisse-Romande (et la France proche), il s’agit du , aussi appelé Arpitan, qui a l’avantage d’être une langue latine, donc les sonorités ne sont pas trop éloignées du français. Pour le scénario Voir Oblivion et Mourir, j’ai utilisé des toponymes communs : tattes (terre en friche), nant (cours d’eau). Le site de Henry Suter offre une interface de recherche.

Une autre approche, que je dois à F’murr est d’utiliser du vocabulaire technique, par exemple le nom des figures de style (Épanadiplose, Synecdoque) pour les personnages d’une tragédie grecque. Pour le scénario La Tour d’Architrave, ce sont des termes d’architecture (Architrave, Zellige). Les termes de typographie (Esperluète, Lemniscate) sont une autre possibilité.

Avoir une base de donnée de termes exotiques, c’est bien beau, mais que faire si on veut réellement créer des mots ? Il va falloir bricoler la morphologie. C’est un aspect très intéressant de la linguistique, mais je suis un homme productif captif d’un corps qui aime dormir, donc je vais utiliser un Joker. J’ai l’avantage d’avoir une fille de six ans qui a appris le serbe et le français en parallèle, comme les deux langues partagent de nombreux termes, elle triche, et quand elle ne connait pas un mot d’un côté, elle en transforme un de l’autre. Ça marche surprenamment bien.

Évidemment, si le mot n’est pas partagé, on se retrouve avec un terme serbe francisé. Voici quelques une de ses créations, avec une définition pour Rêve de Dragon.

Terme Définition Mot Serbe Définition pour RdD
Pétchourque Champignon blanc aux propriétés euphorisante, qui ne se trouve que dans les forêts les plus profondes. Aller aux Pétchourques signifie s’égarer. печурка(pečurka) champignon
Ïasstouque Toque portée par des cavaliers d’Oblivion. Elles sont si matelassée q’elle peuvent servir d’oreiller. јастук(jastuk) oreiller
Patiques Chaussures particulièrement élégantes, typiques de la ville de Chandrapore. патике(patike) Chaussures
Podroume Cave secrète utilisée pour les préparations alchimique dans la ville de Spasme. подрум(podrum) Cave

Parfois le résultat de la transformation est amusant, non parce que le mot n’est pas partagé, mais parce que la version française, n’est pas la même, comme le terme батерија(baterija) dont la version française devient battère. Le fait qu’on utilise un mot en ‘erie’ pour quelque chose qui est un objet et non pas un lieu (comme armurerie, porcherie) ou un comportement (ânerie, étourderie) est peut-être la cause de cette divergence.

L’intérêt du Serbe pour moi, c’est que c’est une langue que j’apprends, c’est aussi une langue qui a parfois des toponymes qui sont plutôt proche du français : Bellegarde et Belgrade. Qui sait si Segonzac, Leskovac, Perpezac, Allassac ou Aleksinac se trouvent en Charente ou dans les Balkans ?

Prenons donc notre Strong-Castle et passons le à travers un traducteur, on obtient Снажан замак(Snažan zamak) ou Јаки дворац(Jaki dvorac). Première observation, c’est plein de consonnes, deuxième observation, Dvorac a un potentiel de blague vaseuses sur la musique classique et les claviers. Le terme Jaki va finir en Jacques, pas très intéressant, Zamak c’est un alliage de métal. Je vais garder Snažan et Dvorac. Zamaque serait bien pour un ordre de chevaleries.

Première chose, le serbe n’utilise pas l’alphabet latin comme le français, le ž(ж) se prononce plutôt comme ‘ch’ dans Niche et le ‘c’ (ц) comme ‘ts’, donc écrit phonétiquement snachant dvorats. On a encore bien trop de consommes, on va ajouter des voyelles, ce qui, statistiquement, en français sera des ‘e’, accentué en milieu de mot, silencieux après les consonnes finales. On va aussi doubler une consonne, une orthographe triviale, ça ne fait pas français du tout. On obtient alors : Sénachante Devorrates.

C’est un peu long, ma première idée était d’en faire un nom fusionné, deux villes sur les berges opposées d’une rivière, comme Budapest ou Ankh-Morpork. Mais on pourrait aussi écrire cela Sénachante de Vorrates. Voilà un nom de ville bien noble, avec en plus du potentiel d’allusion sur le mot allemand Vorrat qui veut dire provision. On remarque que ça aurait aussi été nom intéressant pour un personnage.

Nous avons donc la ville de Sénachante de Vorrates, une place forte nommée après le personnage mythique du second âge qui l’a fondée. La ville est réputée par ses grands greniers et défendue par l’ordre du Zamaque qui vénère encore aujourd’hui Sénachante. Peut-être que la ville originelle s’appelait Vorrates, ou bien Sénachante venait-elle d’ailleurs.

Voilà, je ne suis pas sûr si ce billet sera d’une quelconque utilité pour qui se soit, mais cela illustre comment on peu créer des noms qui sonnent français, et comment ce processus peut aussi donner des idées associées à ces noms. On notera au passage que si je me suis trompé à l’une ou l’autre étape, cela n’a pas de réelle importance.

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