Narration

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Politique, marketing, design, la grande mode est au story-telling, ce qui n’est pas très étonnant, les gens pensent en terme d’histoire, et c’est une technique utilisée par les religions petites et grandes. Évidemment cela implique aussi que le plan, l’objectif respecte les règles de la narration.

Combien de guerres, de conflits, sont insolubles parce que sous-tendus par des narrations que le sang et les larmes et l’ancrage dans un mythe religieux ont rendu toute puissantes ? Un des premiers commandements religieux est de gommer la ligne entre narration et réalité, d’accepter le mythe comme fait.

À l’opposé, nombre de problèmes réels sont insolubles, car difficile à réduire en histoires. L’écologie est constamment embrouillée dans des narrations contre-productives : mère-nature en danger, les animaux mignons menacés. Le réchauffement climatique est particulièrement confus : invisible, ses effets sont omniprésents, mais flous et subtils, une attaque rampante ; l’opposé complet du drame. Évidemment, une conspiration de scientifiques est une bien meilleure histoire, reprenant des thèmes et des acteurs connus.

La plupart des modèles scientifiques modernes sont des catastrophes narratives : l’évolution est l’éloge du chaos, une pièce où tous les acteurs font n’importe quoi et les survivants définissent ce qui avait un sens ou non. La physique quantique est pire, personne n’est capable de l’expliquer, et elle viole explicitement l’unité de temps et de lieu. La conquête de l’espace s’est écroulée comme narration lorsque les échelles de l’univers sont devenues apparentes : avec des distances où même la lumière a le temps de s’ennuyer, impossible de recycler les contes de conquête et de pionniers.

Je me suis longtemps demandé d’où venait cette idée très commune que toute compétence technique réduit l’humanité de celui qui la possède, je pense qu’une des raisons est que comprendre n’importe quelle branche scientifique implique d’embrasser ce qui ne peut-être narré. Pas étonnant dès lors que le scientifique soit le méchant de toutes les histoires.

La plus grande conspiration sera celle qui ne sera pas racontable, non parce qu’elle est trop extrême, mais simplement parce qu’elle n’aura aucun sens narratif, qui écouterait une personne tentant de la dévoiler ? En attendant, fleurissent un peu partout plein de petites phrase que ce dont le monde à besoin c’est plus de poètes, de philosophes, bref, des gens qui racontent des histoires…

The Domesday Book de William Andrews (1848-1908) : Historic Byways and Highways of Old England (1900). Domaine Public

2 thoughts on “Narration”

  1. Une compétence technique, c’est l’inverse de l’humain : pas d’émotion, et effectivement on fait surtout passer l‘émotions par les récits. Et le technique est implacable et logique, donc rien à voir avec l’humain. Il doit y avoir un reste de pensée magique, l’exact opposé de la science qui explique mais est parfois cruelle.

    Mais tu peux faire des histoires sur des phénomènes complexes. Rien que les reportages sur la Nouvelle Orléans ou la disparition d’îlots entiers valent mille explications théoriques du réchauffement (on est dans la vulgarisation à outrance, là). La question : quels sont ceux qui ont intérêt à payer pour que ce storytelling arrive aux oreilles de tout le monde ? On s’est bien occupé de la couche d’ozone sans grande histoire derrière.

    Quant à la plus grande conspiration, celle qui ne se raconte pas : c’est celle qui justement est la plus terrible, qui n’existe pas, ou du moins est inconsciente, celle des imbéciles et égoïstes qui ne veulent pas que le monde tourne rond pour tout le monde — sans doute tout le monde en fait, et c’est pas facile d’en faire un film.

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