Le français est une langue tant menacée qu’elle a besoin d’une organisation pour la défendre, mais la lutte est âpre, et je crains que, déjà la mot cavalier, issue de l’italien, n’ait supplanté le mot chevalier. Je me propose ici de porter ma modeste pierre à l’édifice, afin que le monument de la culture française n’amasse point de mousse. Pratiquant les arts martiaux, force m’est de constater que si certain mots anglais comme uppercut ont déjà été entérinés dans la langue de Molière, la menace, aujourd’hui, n’est plus anglo-saxophone, elle est nippone. Des mots comme atemi, mawashigeri fleurissent dans les dōjō au point qu’il est urgent d’agir. Mes compétences dans les différents domaines concernés (arts martiaux, français, japonais) sont pour le moins limitées, mais n’oublions pas qu’au moment où les maréchaux construisaient la ligne Maginot, de Gaule n’était que Lieutenant.
De nombreux termes d’arts martiaux japonais sont des noms désignants des actions, construits à partir de verbes. La tentation est grande de construire des verbes français correspondant à ces actions, hors cela est une opération délicate, ne verbe pas qui veut. Je propose ici une approche simple pour adapter de manière harmonieuse des verbes japonais à la conjugaison française. Je rejette d’entrée l’utilisation d’expressions composites française, donner un coup de pied retourné est trop long, surtout pour une action qui se veut fulgurante, et la fabrication d’une verbe français du premier groupe comme mawashigériser est laide, affaiblit la diversité des groupes de verbes, et cache la subtilité de l’expression nipponne.
Comme le français, le japonais comporte trois groupes de verbes, comme en français, les deux premiers groupes sont réguliers, et le troisième groupe contient divers verbes irréguliers. Les verbes du premier groupe (yodan) voient leur dernière syllabe changer selon le type de conjugaison. La forme utilisée dans les dictionnaires est celles où la syllabe se termine par le son ‘u’, par exemple washigeru, selon le type de conjugaison, le verbe deviendra mawashigera, mawashigeri, mawashigere, mawashigerō. À cela s’ajoutent deux formes, mawashigette et mawashigetta. Différent suffixes forment la conjugaison réelle. Partant de là la solution la plus élégante est de construire un verbe du troisième groupe comme cuire en se basant sur la base en i (mawashigeri), ce qui nous donne mawashigérir cela à plusieurs avantages :
- Similarité avec le nom dérivé, qui est basé sur la forme en i.
- Forme plus compacte qu’une forme du premier groupe.
- L’impératif de la première personne du pluriel mawashigérons est proche de l’injonctif mawashigerō.
- Les formes conditionnelles si je mawashigérais est proche du conditionnel mawashigereba.
Cela nous donne la conjugaison suivante :
Temps | Présent | Futur | Passé simple | Imparfait | |
---|---|---|---|---|---|
singulier | 1ère personne | Je mawashigéris | Je Je mawashigérais | Je mawashigésis | Je mawashigésais |
2e personne | Tu mawashigéris | Tu mawashigéras | Tu mawashigésis | Tu mawashigésait | |
3e personne | Il mawashigérit | Il mawashigéra | Il mawashigésis | Il mawashigésait | |
pluriel | 1ère personne | Nous mawashigésons | Nous mawashigérons | Nous mawashigérîmes | Nous mawashigésions |
2e personne | Vous mawashigésez | Vous mawashigérez | Vous mawashigérîtes | Nous mawashigériez | |
3e personne | Ils mawashigérisent | Ils mawashigéront | Ils mawashigéritent | Ils mawashigésaient |
Pour les verbes du second groupe japonais, ils sont eux aussi transformés en verbes du troisième groupe, mais cette fois-ci selon la conjugaison de décrire. Si l’on considère le verbe kaitennageru (projeter en rotation), on obtient donc :
Temps | Présent | Futur | Passé simple | Imparfait | |
---|---|---|---|---|---|
singulier | 1ère personne | Je kaïtennaguéris | Je kaïtennaguérirai | Je kaïtennaguérivis | Je kaïtennaguérivais |
2e personne | Tu kaïtennaguéris | Tu kaïtennaguériras | Tu kaïtennavis | Tu kaïtennaguérivais | |
3e personne | Il kaïtennagérit | Il kaïtennaguérira | Il kaïtennavit | Il kaïtennavait | |
pluriel | 1ère personne | Nous kaïtennagérivons | Nous kaïtennagérirons | Nous kaïtennagévîmes | Nous kaïtennagévions |
2e personne | Vous kaïtennagérivez | Vous kaïtennagérirez | Vous kaïtennagévîtes | Nous kaïtennagéviez | |
3e personne | Ils kaïtennagérivent | Ils kaïtennagériront | Ils kaïtennavirent | Ils kaïtennavaient |
Outre le fait que cette proposition est, à ma connaissance, la première et la seule, je pense qu’elle résous le problème de manière élégante et respectant la complexité des deux langues impliquées.
J’avoue: j’ai (mawashigué)ri.
Très bon article mon cher Thias, et très belle intro.
Toutefois, même si l’introduction d’un verbe étranger dans notre langue est possible (enfin… je dis “notre langue” mais c’est surtout surtout la mienne en fait, nous vous la prêtons gentiment à vous, fier peuple des montagnes et à vos cousins ardennais), elle est soumise à quelques règles.
La connaissance de la langue étrangère en question n’est pas une prérequis. Par contre l’assimilation du premier groupe et du suffixe “-er” l’est.
Donc on dira bien “mawashiguériser” que cela plaise ou non, que cela soit moche ou non.
Eh ben, t’es en forme en ce moment! Gambaris!
Cette langue était autant la mienne que la tienne, mon cher Gator, la soumission aux règles des immortels, je te la laisse toute entière…
À noter que sarkosyr n’est pas non plus du premier groupe: http://correcteurs.blog.lemonde.fr/2010/05/20/de-quoi-sarkozyr-est-il-le-nom/
Tu m’as donné envie de crawler tes archives et je ne peux résister à l’envie de commenter un mois et demi plus tard:
Ta francisation des mots japonais est digne de l’académie et son mél; mais dans la rue, on ne mawachose pas, on chucknorrise.
Je crois que seul Chuck Norris chucknorrit réellement…