Jeu de Rôle et Créativité

Alias a écrit sur son blog un billet à propos d’une entrée du blog intitulée Le JDR est potentialité. Le billet est assez long, mais très intéressant. L’argumentation centrale tourne au fait que la cœur du jeu de rôle est la créativité, et qu’en fixant les éléments d’un scénario on limite la créativité des joueurs et donc le jeu lui même.

Je suis entièrement d’accord avec certaines choses à éviter, comme contraindre les actes des personnages joueurs, ou se fixer sur une solution à un problème, mais je pense que si ce sont des bonnes considérations théoriques, en pratique, elle ne sont pas applicables, ou pas de manière absolue. Comme le fait remarquer à raison Alias :

Le problème est que si on se contente d’écrire un scénario qui présente les forces en présence, décrit deux ou trois saynètes et laisse le MJ se débrouvamerder avec le bazar, pour le lecteur moyen, ça ressemble fort, au mieux à un bidule inaccessible et, au pire, à un foutage de gueule grand style.

Même lorsque je prépare un scénario pour moi même, je préfère préparer dans une certaine mesure le déroulement de certaine événements, quitte à ne pas utiliser ce que j’ai écrit. Improviser demande de l’énergie et du temps, ce qui veut dire que pendant les moments où j’improvise, je me fatigue plus vite et je suis moins à l’écoute de mes joueurs. J’ai aussi l’impression de mieux improviser lorsque je pars d’éléments que j’avais déjà, en les détournant, les inversant, au lieu d’agir ex nihilo. Pour moi, le syndrome de la page blanche existe aussi en improvisation.

Si je met ma casquette d’informaticien, cette discussion n’est rien d’autre que l’équilibre entre une programmation dynamique et interprétée et une programmation plus statique, compilée et optimisée. La première laisse plus de libertés, aux prix de performance dégradées, la seconde donne de meilleures performances, et permet parfois certaines formes de validations, mais elle restreint les possibilités au moment de l’exécution. Il n’y a pas de solution absolue à ce dilemme, tout au plus un équilibre : compiler les chemins de code qui ont de grosses probabilités d’être suivis, quitte à ne pas les utiliser au moment de l’exécution, et interpréter le reste.

La même solution me semble être raisonnable en jeu de rôle : préparer la ou les solutions les plus probables, et laisser au MJ loisir d’ignorer ce qui a été préparé, c’est son rôle après tout. Mon problème avec l’argumentation de Démiurge est plus profonde, toute la discussion est basée sur le postulat suivant:

Ce que je crois, c’est que la seule supériorité du jeu de rôle sur les autres formes de fictions, c’est que c’est la seule à permettre une réponse à tous les choix envisageable par le joueur. Ceci, parce que les réponses sont formulées par des êtres humains, doués d’imagination.

Je ne crois pas que le jeu de rôle est supérieur aux autres formes de fiction. En fait, je ne pense pas que cette considération ait le moindre intérêt. Je ne pratique pas le jeu de rôle parce que c’est une activité supérieure, et tout personne qui le fait pour cette raison devrait enlever ses Louboutins mentales et aller prendre un grand bol d’air dehors.

Pour moi, le problème sous-jacent à beaucoup de Jeuderôlogie est le fait que les créateurs de jeu pensent qu’ils sont représentatifs des joueurs. On a tous participé à une partie ou le maître de jeu était trop dirigiste, de fait, nos première parties entrent probablement toutes dans cette catégorie, mais cela ne nous a pas empêché de continuer à jouer. Si je regarde les parties que je maîtrise, je ne pense pas que la limitation de la potentialité des joueurs soit un problème. Ou, si c’en est un, il est loin derrière les difficulté d’organisation pour une partie avec des gens qui ont une vie active, les problèmes interpersonnels dans le groupe, ou la question fondamentale du repas.

La créativité est peut-être une caractéristique saillante, mais cela n’est qu’un aspect du jeu de rôle. Différents joueurs prennent plaisirs à différent aspects d’une partie, pour les uns, l’important est d’écouter une belle histoire, pour d’autres le fait d’en être le héros, pour d’autres, c’est avoir un alter-ego intéressant, pour d’autre encore c’est le fait de pouvoir incarner avec brillance un personnage, un dialogue. Ceux qui sont le plus attiré par l’aspect créativité deviennent naturellement maître de jeu, et peut-être créateur de jeu, mais ils ne sont pas la majorité.

Le résultat, à mon avis, c’est que les jeux de rôle d’auteurs tendent à favoriser un aspect du jeu. Ces jeux plaisent naturellement dans les cercles de créateurs, mais curieusement ne fonctionnent pas si bien que ça avec le joueur λ. Le mot « éduquer » vient souvent immédiatement après dans la conversation. Mon problème c’est que pas mal de jeuderôlogie est faite par des gens qui ont une vision exclusive et théorique d’une activité qui consiste fondamentalement à s’asseoir autour d’une table avec des chips et des bières.

À l’époque de l’omniprésence de WoW je comprends la tentation de distinguer le jeu de rôle d’autre activités, de bâtir des lignes Maginot imaginaires autour du jeu de rôle, mais soyons honnête, elles ne font pas de bonnes fondations.

9 thoughts on “Jeu de Rôle et Créativité”

  1. La période est en plus assez bien choisie pour se rappeler de la pertinence de la construction de lignes Maginot.

  2. “Je ne crois pas que le jeu de rôle est supérieur aux autres formes de fiction. En fait, je ne pense pas que cette considération ait le moindre intérêt. Je ne pratique pas le jeu de rôle parce que c’est une activité supérieure, et tout personne qui le fait pour cette raison devrait enlever ses Louboutins mentales et aller prendre un grand bol d’air dehors. ”

    Il n’était pas question de dire que le jdr était supérieur aux autres formes de fiction, mais ce qui l’en distingue intrinsèquement, sa spécificité.
    Le cinéma est par exemple supérieur aux autres medium de fiction dans la formation d’une diégèse (à cause du dispositif cinématographique).
    Cela ne veut pas dire que le cinéma est mieux que.
    Il est simplement plus efficace que … parce que..

    Je poursuis dans cette logique, le jdr permet par rapport autres médiums la potentialité narrative, donc il est supérieur aux autres médiums pour la mettre en pratique (tout simplement parce que sont dispositif le permet). Après à chacun de se demander s’il veut utiliser un medium pour ce qu’il a de plus spécifique.

    Ex :
    si je veux être complètement pris par la main je vais voir un film
    si je veux faire le travail de représentation moi-même, je lis un livre
    si je veux qu’une histoire se crée à la volée je fais du jdr

    Ca n’est pas idiot, ni élitiste, ni exemplaire, de se dire : si je veux vivre tel mode
    de narration pourquoi ne pas choisir celui qui me le permet le mieux?

    Combien de gens ont arrêté le jdr, parce que finalement tant
    qu’à subir de la linéarité autant aller voir un bon film?

    Ado on peut adorer la linéarité, mais adulte? Est-ce qu’on a pas
    accès à d’autres medium fictionnels qui le font aussi bien?

  3. Je trouve étrange d’utiliser la notion d’efficacité – qui implique quelque chose de mesurable, de quantifiable – avec l’idée de potentialité, mais admettons. Mon problème est que cette supériorité potentielle se heurte à la pratique. Les joueurs ne sont pas libre de faire ce qu’ils veulent, l’exemple le plus simple est le groupe de joueurs qui se disperse. C’est une action des joueurs qui est très difficile à gérer pour un maître de jeu et pourtant très bien gérée par un jeu de rôle sur ordinateur. En gros le JdR de table offre une totale liberté aux joueurs à condition qu’ils respectent une unité de temps, de lieu avec le reste du groupe, et que leurs actions n’impliquent pas trop de personnages (le MJ ne peut pas gérer une quantité infinie de PNJs et une partie de table avec 200 joueurs est ingérable).

    Personnellement, je trouve plus intéressant et constructif d’admettre ces limites et de chercher à travailler avec, trouver des techniques pour les repousser, que classer les médias selon leur adéquation à leur capacité non-linéaire ou la richesse de leur diégèse. Pour moi le jeu de rôle est une activité inclusive, et affirmer qu’un adulte ne devrait pas aimer la linéarité ou tout du moins dans le jeu de rôle n’est pas constructif.

  4. Je reformule une partie de ta pensée pour être sûr de t’avoir compris.
    Un jv impose un gameplay alors qu’autour d’un jdr il faut respecter un contrat social. Si les joueurs le valident pendant la partie, celle-ci sera fonctionnelle. Le contrat social entre les joueurs de jv se limitant uniquement à : je joue avec vous ou pas.

    Donc si dans un jdr le contrat social n’est pas respecté, c’est un problème humain, pas du médium, le canon de la partie n’a pas été respecté (comme si je sors de la séance en plein film, ou que je déconnecte mon cable réseau en jv).

    Je crois qu’il ya un malentendu : je n’ai pas affirmer qu’un adulte ne devait pas aimer la linéarité (propos que tu me prêtes en dernière ligne), même en jdr.
    Donc je reformule pour être plus compréhensible (ce qui est à nouveau une question et non une affirmation)
    ->
    Adolescent nous avons majoritairement des habitudes de jeux qui sont de l’ordre de la linéarité en jdr du fait même du format commercial des scénarios mainstream. Adulte nous avons majoritairement beaucoup moins de temps pour expérimenter la fiction au travers des différents médium mis à notre disposition, chacun ayant des moyens spécifiques pour nous la faire vivre ( cf comparaison littérature jdr : http://www.slideshare.net/Footbridge/le-scnario-de-jeu-de-rle-un-genre-littraire?from=share_email ) n’est-il pas judicieux de choisir le medium qui colle au mieux à l’expérience de fiction que l’on souhaîte vivre ?

    Moi ça me semble constructif comme question. Comme ça m’intéresse quand footbridge fait un comparatif littérature/jdr. Je n’y vois pas de quantification, de supériorité, juste de l’analyse, pour enrichir justement sa propre pratique.

  5. Je ne pense que la distinction entre le jeu vidéo qui impose un “gamplay” (qu’est ce que ça veut dire?) et le jeu de rôle qui implique un contrat social soit pertinente. Dans les deux cas on tombe sur les limitations du médiateur de l’histoire, une fois c’est un ordinateur, une fois c’est un humain. Un ordinateur ne peut pas (encore?) improviser, un humain ne peut gérer qu’une quantité d’actions et de joueurs en parallèle.

    Concernant la linéarité, la première chose que je ferrais remarquer, c’est que si tu veux réellement avoir une discussion sans prétention de supériorité, je préfèrerais que tu n’utilises pas des tournures du genre adolescent je faisait A, mais adulte je fais B.

    Pour revenir au point que j’essayais de faire dans ce billet. Je pense qu’il y a un malentendus qui vient du fait qu’il faut distinguer deux rôles dans le jeu de rôle, deux modes. Celui où on joue, et celui où l’on écrit. Je pense que se concentrer la partie dynamique du jeu de rôle est une erreur dès le moment où créé un jeu ou un scénario. Le slide n°8 de la présentation est à mon avis le plus intéressant: un scénario a plusieurs usages, comme une pièce de théâtre. Elle est écrite, lue, puis jouée.

    Au moment où un scénario est écrit, l’auteur ne sait pas comment vont réagir les joueurs. Le scénario a probablement été joué, peut-être plusieurs fois, mais avec d’autres joueurs. Dans sa forme écrite, un scénario de jeu de rôle, n’est pas (encore) dynamique, c’est une ensemble d’éléments linéaires organisée en arbre (cf slide n°4).

    La qualité du scénario est déterminée par la bonne anticipation du comportement des personnages aux nœuds et la qualité des éléments linéaires. En ce sens, le scénario parfait (en tant que texte) serait celui où l’auteur a parfaitement anticipé les actions des joueurs et présenté uniquement la branche qu’ils suivront. On se retrouve dans la structure du roman. Le fait qu’une histoire est linéaire n’est pas le problème, le problème c’est si les les joueurs le ressentent. Si on retourne la question, un auteur de scénario de jeu de rôle est un auteur de nouvelle qui a des secondes chances.

    Pour la peine j’aimerais aussi souligner qu’un roman peut théoriquement avoir plusieurs branches: un évènement clef du roman peut-être perçu de deux manières, et le reste de la narration est suffisamment ambigu pour que les deux possibilités coexistent. C’est clairement plus difficile, mais possible.

    Pour revenir à ton post, je ne choisis par un médium qui «colle au mieux à l’expérience de fiction que l’on souhaite vivre», mais celui qui me donne le plus de plaisir, ce qui dépend directement de la qualité du maître de jeu, mais aussi du matériel qu’on lui donne. Cette qualité est, à mon avis, largement déterminée par le travail d’auteur (au sens classique) et de réflexion sur les parties linéaires faites par l’auteur plutôt que des considérations de jeu-de-rôlogie sur l’aspect dynamique qui n’existe réellement qu’autours de la table…

  6. Je comprends bien ton point de vue dans le dernier paragraphe. Mais il me semble qu’il procède essentiellement d’une habitude de pratique de jdr (fonctionnelle biensur).

    ET aussi tous les rolistes, on peut l’espérer, utilisent la manière d’expérimenter le medium qui leur apporte le plus de plaisir. Mais à mon avis ça n’entame en rien un constat, certains mediums intrinsèquement ont des propriétés que d’autres n’ont pas. Libre ensuite aux joueurs d’en prendre acte ou pas, d’en jouir ou pas.

    Donc pas obliger d’en prendre acte, et a contrario cela ne sert à rien de critiquer les considérations qui ne nous touchent pas, à ce seul prétexte. Cela ne les rend pas invalides. C’était le sujet de ma réponse initiale.

    Pour la question du scénario en jdr, le scénario vient d’un autre medium le cinéma, qui de par son dispositif est à même de l’assurer dans sa complétude (impossible en jdr). De ce constat, découle que les auteurs de jdr dans le dispositif offert, pourraient logiquement proposer des structures dynamiques adaptées.

    Voilà j’espère avoir été assez synthétique, dans mon propos. Merci pour la discussion.

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