Religion et Tradeoff

Une manière de reconnaître un ingénieur est le fait qu’il a tendance à répondre ça dépend a toutes les questions. En effet tout problème a typiquement plusieurs variables qui interagissent, l’interaction de ces variables est ce qui décide si quelque chose est possible, raisonnable ou rentable. Le corollaire c’est qu’il n’y a pas de réponse, juste des Trade-off, un terme qui n’existe pas réellement en français, le terme le plus proche, compromis n’exprime qu’un seul point dans l’espace des possibilités, avec en plus une très mauvaise connotation.

Le fait qu’il existe une myriade de solutions à un problème donné – avec une combinaison de variables très différentes – est quelque chose que l’on trouve partout dans la nature, la grande variété d’espèces animales ou végétales revient à cela : chaque niche écologique est une possibilité différente, avec ses avantages et ses défauts, aucune n’est réellement meilleure dans l’absolu, certaines sont plus adaptées à un moment donné où un autre, mais comme l’environnement change en permanence, ce qui était très approprié un jour peut devenir un handicap le lendemain.

Les religions semblent être la négation du trade-off : les dieux sont censés être, sinon parfaits, au moins l’incarnation d’une forme d’optimum. Leurs narrations consistent largement a essayer de cadrer le chaos et l’arbitraire ambiant, d’y injecter un ordre sous-jacent et invisible, un designer bienveillant qui ne fait pas de compromis. C’est une position qui me semble absurde, car elle est fondamentalement en désaccord avec l’univers tel que je le perçois, et oblige a nier d’une manière où d’une autre tout ce qui n’entre pas dans le cadre…

8 thoughts on “Religion et Tradeoff”

  1. Pour trade-off, je vois ici une expression française, pas forcément la plus claire, mais qui me parait juste: des “possibilités”, ou des “faisceaux de possibilités.” Pas de réponse, mais des solutions et résultats éventuels.
    Et pourquoi donc les religions en sont la négation?… simplement parce que l’homme est intrinsèquement obnubilé par la recherche du pourquoi et de la solution, et que la notion de possibilités, de chaos, de hasard comme force dominante de l’organisation des systèmes complexes, sa vie en premier lieu, lui est simplement insupportable. Il suffit de voir la réaction suscité chez autrui quand, traumatisé par un drame, il demande pourquoi, et que la meilleur réponse possible à lui fournir sans parler de religion, dieu, ou destinée est: “ça arrive…”

  2. Les religions ne fonctionnent pas vraiment comme ça. Je le sais “de l’intérieur”: il y a des trade-offs qui se font tout le temps. Les textes sont vagues, souvent mal traduits et ouverts à toutes sortes d’interprétations.

    Évidemment, ces interprétations varient avec le contexte: époque, lieux, cultures indigènes, etc. Tu peux avoir des gens qui ont en théorie la même religion, basée sur les mêmes textes (et, dans le cas des Luthériens, basés sur la même interprétation par un moine allemand du début du XVIe siècle) et avoir au final des interprétations différentes, voire contradictoires.

  3. Je ne parle pas des églises, mais de leur narration. Et une contradiction n’est pas un trade-off, par essence les deux termes d’une contradiction ne peuvent réellement coexister. Un exemple de trade-off que j’ai à l’esprit est celui du système respiratoire des requins vs celui des dauphins: l’un n’a pas besoin de remonter à la surface pour respirer, l’autre permet d’utiliser un mélange plus riche en oxygène. Ils ne sont pas en contradiction, et aucun n’est intrinsèquement meilleur.

    Je ne trouve pas le terme possibilité approprié: il n’exprime pas les compromis, les relations entre les variables et les contraintes. Une possibilité existe en isolation, un trade-off implique l’existence de deux variables.

    Une vision de trade-off des religions reviendrait à admettre qu’elles se valent toutes, ce qui normalement viole un principe intrinsèque de toute religion monothéiste, et que leur différences se résument aux avantages et inconvénient sociaux et matériels qu’elles offre, ce qui revient à les réduire à de simples clubs sociaux, sans élément réellement religieux.

    Même le bouddhisme contient une entité qui réduit la complication de toutes les dimensions à une simple variable: le Karma.

  4. Les religions sont un peu comme les maths : des axiomes, pas de compromis, hors réalité sensible tout en cherchant à en trouver les lois ultimes. Mais aucune religion n’a jamais été jetée aux orties parce qu’elle est auto-contradictoire…

  5. C’est vrai que de ce point de vue, les maths ressemblent aux religions: il n’y a pas réellement de trade-off, un théorème est vrai, faux ou indécidable, mais il n’y a pas réellement de compromis, vu qu’il n’y a pas réellement de ressources, de coût, d’entropie – ces choses sont présentes dans la pratique des maths, mais pas les maths elles-mêmes. Intuitivement, la notion de trade-off semble intimement liée à la seconde loi de la thermodynamique…

  6. Les religions ne fonctionnent pas vraiment comme ça. Je le sais “de l’intérieur”: il y a des trade-offs qui se font tout le temps. Les textes sont vagues, souvent mal traduits et ouverts à toutes sortes d’interprétations.

    Évidemment, ces interprétations varient avec le contexte: époque, lieux, cultures indigènes, etc. Tu peux avoir des gens qui ont en théorie la même religion, basée sur les mêmes textes (et, dans le cas des Luthériens, basés sur la même interprétation par un moine allemand du début du XVIe siècle) et avoir au final des interprétations différentes, voire contradictoires.

    —> Là, tu décris l’église dans son cercle intérieur, ce que je considère revenir à la même que la politique, on parle de fonctionnement et de tentative d’adaptation aux faits et évolutions sociales. Celui qui fait l’église et la religion doit accepter des compromis, mais un compromis ne résout pas le problème de l’essence de la religion pour le pleupleu moyen, qui est d’avoir une réponse absolue à un problème qui n’en a pas. On peut réinterpréter aisément chaque phrase de la bible, le croyant lui, ne doit pas interpréter:
    Il croit.
    C’est son essence même, il ne va ni réinterpréter, ni remettre en question, ou sera taxé de ne pas être un Vrai croyant. Pas de trade-off, pas même de compromis, tu prends le package, ou tu es hérétique/apostat/etc…
    Fort heureusement c’est un mode de pensée qui disparaît… lentement. Trop à mon gout, et concerne encore trop de gens, mais comme je le dis souvent, l’évolution n’a jamais été rapide… et elle, elle dépend totalement de trade-off, qui plus est.

  7. @Krysztof von Murphy, thias:
    Je ne pense pas que la comparaison entre religion et math soit, même un tout petit peu, une once, valable. Les mathématiques ne sont pas une grosse liste d’axiomes qui permettent de prouver des théorèmes. Au contraire chaque champs des mathématiques possède ses propres axiomes, parfois contradictoires entre les autres.

    Un exemple : Un axiome d’Euclide (dit des parallèles) est “dans un point, on ne peut faire passer qu’une et une seule droite”. Qu’on fait certains mathématiciens ? Ils l’ont jeté par la fenêtre donnant naissance à de nouvelles géométries dit non-euclidiennes.

    Il y a belle est bien un trade-off en mathématique, et pas seulement en pratique, à savoir quelles axiomes sont utilisés. Car si les axiomes sont arbitraires, tu peux décider d’en changer, sans invalider le travail des autres. Dans la religion, c’est un schisme…

    (à noter que je n’ai même pas eu besoin de parler de la différence fondamental entre Science et Religion)

  8. « Car si les axiomes sont arbitraires, tu peux décider d’en changer, sans invalider le travail des autres. Dans la religion, c’est un schisme… » : excellente comparaison. Il y a vraiment des points communs entre religion et maths, surtout depuis que les schismes ne mènent plus à des génocides, du moins chez nous :-)

    Ça me fait penser que j’avais un prof de maths très croyant, et qu’on trouve pas mal de scientifiques parmi les intégristes islamistes au stade suicidaire terminal. Le besoin d’une vision du monde extrêmement stricte je pense.

    Et la plupart des gens sont évidemment capables de faire l’impasse sur les contradictions apparentes entre le monde réel et les lois mathématico-physiques qu’ils connaissent.

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