La bibliothèque infinie

Dans les livres du Disque Monde, Terry Pratchett décrit la bibliothèque de l’université de magie de Ankh-Morpork comme étant quasi-infinie, contenant non seulement tous les ouvrages écrits, mais aussi ceux qui auraient pu être écrits, ce qui fait que certains étudiants étaient tentés d’y chercher leur mémoire de diplôme, sans réaliser qu’il serait probablement plus facile d’écrire le dit mémoire. Ce qui est intéressant c’est que nous sommes en passe d’avoir une bibliothèque similaire.

Traditionellement, l’édition suit un cheminement assez simple, l’auteur conçoit le texte, une forme d’édition à lieu, et le livre était placé dans une bibliothèque, ou les érudits vont les chercher et les lire. Le monde de l’édition a quelque peu évolué depuis le système dicter à son esclave qui écrira sur une tablette de cire, l’ordre des choses n’a pas changé: conception → édition → publication → recherche → lecture. Et puis est arrivé le web.

Comme toutes les métaphores, l’idée de page web est en même temps une aide et un piège. Cela permis de rendre accessible et compréhensible un concept technique complexe, mais cela conforte les gens dans un modèle qui n’est pas exact. En apparence une page web est comme une fraction d’un livre : il y a une référence l’url et si on a l’url on peut retrouver la page. Cela parait simple, mais cette métaphore occulte un fait simple : de nombreuses pages n’existent pas à proprement parler avant qu’on les référence.

Un serveur peut donc contenir un nombre infini de pages. L’exemple le plus simple est un serveur de calendrier, si on lui demande, il peut offrir la page correspondant à n’importe quel jour du futur, elle ne contiendra probablement que des informations prévisibles, comme le fait qu’il s’agit de la Saint Gudule et que la lune sera pleine, mais il y a aura une page. Ce qui est important, c’est que l’acte de chercher la page a causé sa publication.

L’ordre des choses est soudainement inversé: la recherche provoque la publication. Jusqu’à présent, le fait de demander si un livre existe dans une librairie n’a jamais causé son existence. L’édition devient quelque chose de zen, « si un ouvrage est publié, et que personne ne le cherche, existe-t-il réellement  ? » Soit, me diront les traditionalistes, mais ces pages, ce ne sont pas des livres, tout au plus des pages de calendrier. C’est vrai pour le moment, mais la limite va vite se brouiller : d’une part les liseuses électroniques effacent la limite entre un livre physique et un texte électronique comme une page web, de l’autre les algorithmes sont de plus en plus avancés, et l’on passe tout gentiment de « donnes moi le calendrier du 13 février 2047  » à « donnes moi la version de Beowulf en français québécois ».

Impossible ! me rétorquera-t-on, un ordinateur ne pourra jamais gérer les subtilités d’une traduction ou d’une adaptation, c’est discutable, historiquement les machines n’ont cessé de faire des choses qu’on pensaient réservées aux humains, en vérité ça n’a pas d’importance, vu que les ordinateurs de nos jours peuvent utiliser des humains. Il suffit de changer un problème insoluble pour un humain en une myriade de petits jeux et des les humains les résoudront gratuitement pour gagner qui un cochon virtuel, qui une nouvelle tenue sexy pour son avatar.

2 thoughts on “La bibliothèque infinie”

  1. – La bibliothèque infinie il a piqué l’idée à Borges. Si tu n’as pas lu “Fictions” jette-toi dessus. Mais Borges n’avait pas parlé des étudiants fainéants.

    – Une page existe forcément même si elle n’a pas été générée, parce qu’en fait tout ce qui a été/sera écrit est dans chaque nombre univers (π par exemple), donc on en arrive à la question de l’existence de ce qui n’a jamais été calculé (et puis il faut trouver le point de départ).

    – Quant aux traductions automatiques sous-traitées aux et distribuées sur des humains : je pense que traduire un vers de Baudelaire isolé sera plus délicat que de demander à lire des captchas. Peut-être Google saura-t-il un jour repérer les bilingues parfaits avec sens littéraire et culture pour traduire des petits bouts, et sans doute le système sera-t-il passable pour des textes non littéraires, mais traduire un texte littéraire suppose souvent une adaptation (les présupposés culturels varient) et aussi une unité dans la traduction. Mais l’expérience pourrait être intéressante…

  2. Je ne pensais pas à distribuer la traduction directement, plutôt la faire automatiquement et ensuite vérifier / sélectionner les variantes avec des humains. Pour du Baudelaire, aucun besoin de vérifier la sémantique, c’est de la poésie…

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